6

5 0 0
                                    


 Tu es finalement parvenu à t'infiltrer au sein de ma maison.

- Attends-moi dans le salon, je vais chercher des compresses et de l'alcool à brûler. 

J'escalade l'escalier à toute vitesse et attrape le flacon en verre situé dans le meuble situé sous la vasque, dans la salle de bain. Tandis que je cherche les fameuses compresses dans les placards que je laisse en désordre, tu entres à ton tour dans la pièce à eau, me surprends et je sursaute.

- Tu as retrouvé ton chemin.

Tu n'as pas décoché un mot depuis le moment où nous sommes sortis du café.

Tu t'assois sur le bord de la baignoire avec difficulté, il ne t'a pas épargné. Je verse de l'alcool sur une compresse stérile et tandis que je l'applique sur ta pommette, où une blessure béante a laissé s'échapper du sang maintenant coagulé, tu frémis.

- Je suis désolée.

Je poursuis mes soins puis te dévisage afin de m'assurer d'avoir désinfecté toutes tes plaies. Tu ne fais qu'éviter mon regard.

- J'ai eu peur qu'il te tue.

Tu passes tes bras autour de ma taille et t'agrippes avec force à mon corps faible. Ton visage enfoui dans mon ventre, tu ne te prives pas de pleurer. Aucune parole n'est prononcée, je ne sais pas comment réagir. Je décide finalement de lâcher prise et de poser doucement mes mains sur ton dos courbé. Je crois réconforter un enfant en faisant des mouvements de va-et-vient bienveillants. Cet instant me paraît interminable, tu ne t'éloignes pas de moi. Pourtant, te serrer dans mes bras me procure un sentiment que je n'avais pas ressenti depuis longtemps, celui de l'apaisement. C'est la première fois que je m'autorise à prendre l'initiative de te toucher depuis le moment où tu as crié mon nom sur la plage.

Ce rapprochement devient insupportable lorsque je réalise que ce moment n'est qu'une exception, que lorsque tu partiras, je resterai à nouveau seule emprise à toujours plus de déceptions. Je m'écarte délicatement, veillant tout de même à ne pas raviver la douleur provoquée par tes lésions. De mon index, je soulève ton menton à qui les poings de cet homme ont conféré une couleur bleutée.

- Tu devrais enlever ton pull, je suis certaine que tu as des hématomes sur le torse.

Soulever les bras te fait grimacer, ta peau est tachetée de bleus et tes côtes sont traumatisées.

- Je vais chercher des sachets de légumes congelés.

Et tandis que je passe le chambranle de la porte, tu me supplies :

- Je t'en prie, ne m'apporte pas ceux qui conservent du brocolis.

Je souris. Même lorsque tu es dans une situation compliquée, tu ne perds pas ton sens de l'humour.

Ton pantalon est au sol, froissé. Tu es allongé dans la baignoire, en sous-vêtements. Du doigt, tu montres d'autres hématomes situés sur te cuisses.

 - Je crois que je l'ai considérablement mis en colère.

- Pourquoi ne t'es-tu pas défendu ?

- Il avait raison, je ne devrais pas être à l'origine de tes pleurs. D'ailleurs, tu ne devrais même pas pleurer. Tu mérites d'être heureuse et je suis triste de ne pas avoir été celui qui a réussi à te rendre épanouie.

- C'est vrai, je suis malheureuse. Ton départ est la cause de mon désespoir mais crois-moi, j'ai été plus que comblée lorsque nous nous sommes aimés.

- Alors tu ne m'aimes plus ? J'ai remarqué que mon ancienne armoire abritait des vêtements d'homme lorsque je suis passé devant notre chambre.

- C'est un ami.

Je n'ai jamais été très douée pour mentir. Et puis pourquoi suis-je en train de te cacher la vérité ? Tu es passé à autre chose, tu me l'as avoué, tu m'as parlé de cette femme qui te fait vibrer. Pourquoi devrais-je me cacher ?

- Un ami qui dort dans notre lit, qui range ses affaires sur les étagères où étaient ordonnés mes habits ?

Je sens poindre une crise de jalousie. Si tu pouvais t'imaginer comme je pense à toi quand je suis dans ses bras, comme je ne discerne que le souvenir de ton visage lorsqu'il me touche. Si tu apprenais comme j'ai espéré que tu reviennes et que tu lui fasses faire ses valises en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Si tu réalisais comme je donnerais tout pour toi, pour être près de toi plutôt que face à lui. Si tu savais comme il n'est rien pour moi, comme tu représentes tout pour moi.

- Lui a voulu de moi.

Je m'empare de la crème à appliquer sur les hématomes et dévisse le bouchon.

- Peux-tu me la mettre ?, me demandes-tu sur un ton ingénu.

J'hésite quelques secondes mais je ne peux m'empêcher de céder lorsque je vois ton visage qui provoque sur moi un fou rire. Alors je décris des petits cercles sur chacun de tes bleus et l'espace d'un instant, je nous revois à nos dix-sept ans. Nous avions choisi de passer un après-midi à la plage. J'avais totalement couvert mon corps tandis que tu ne portais que ton mon maillot de bain au motif marinière. J'étais gênée, tu l'as vu et comme pour me perturber, tu m'as demandé de t'étaler de la crème solaire sur le dos. J'ai attrapé le tube et plus pour me persuader que j'étais capable d'oser que pour te prouver que je n'étais pas mal à l'aise, j'ai massé ton dos avec le liquide blanc. On a ri pendant plusieurs minutes face à ma maladresse, je n'étais pas habituée à fréquenter des garçons et encore moins à les toucher. Je préférais rêver à une histoire d'amour idyllique en lisant consciencieusement des dizaines de romans par an tandis que mes amis sortaient à chaque fin de semaine.

Ce qu'il nous resteWhere stories live. Discover now