Un paradis exutoire

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Elle était curieuse et espiègle, Nelly.

Elle mangeait une part de galette des rois encore chaude, fumante et odorante, la couronne en carton doré posée sur sa tête dressée de petite fille, le plat dormant paisiblement sur le rebord de la fenêtre grande ouverte par laquelle elle scrutait les moindres recoins du jardin où grouillait la vie ainsi que les couleurs. Elle aimait se pavaner telle une souveraine superbe, couvant d'un regard tendre la pelouse d'un vert éclatant et les plantes de toutes sortes qui jaillissaient du mur de pierre lui faisant face à la manière des jets d'eau d'une fontaine et qui brillaient sous les doux rayons de lumière qui ajoutaient de l'éclat à leurs vives nuances. Quelques fleurs des champs venaient éclore dans sa chevelure relevée en deux couettes candides maintenues par des élastiques jaunes où trônaient des princesses en plastique, celles des contes, qui, avec l'aide du prince charmant et celle de son fidèle mais incessamment oublié compagnon équestre, terrassaient les plus féroces dragons et autres chimères, fruits d'imaginations débordantes. Ses mains minuscules, pleines de son amour ainsi que de sa douceur, plongeaient de temps à autre dans un sachet de graines dont elle distribuait de grosses poignées aux volatiles qui peuplaient le sol et fouillaient la terre de leur bec à la recherche de nourriture. Elle secouait sa tête afin d'exprimer son désaccord face aux dires mesquins de l'un des oiseaux dont les paroles emplissaient ses petites oreilles qui, par la conviction inébranlable de leur détenteur au sujet d'éventuels pouvoirs magiques, croyaient percevoir de véritables sons. En effet, elle parlait aux animaux, Nelly. Elle était persuadée que ceux-ci la comprenait, répondait en riant à ses babillages innocents et que si elle ne possédait pas encore la capacité de les entendre s'exprimer par le biais du langage humain, c'était que ses pouvoirs n'atteindraient leur paroxysme que le jour de ses dix-huit ans. Elle en était certaine et, tandis qu'elle déblatérait à propos de la musique classique avec monseigneur le merle, une note de harpe s'éleva doucement de l'autre côté de la haie de tuyas. C'était la voisine qui jouait, comme tous les jours à la même heure, de cet instrument, si plaisant et si calme que Nelly se surprenait parfois à chantonner pour accompagner ces do, ces fa, ces sol qui s'étendaient de plus en plus, formant une mélodie dont le cours paraissait ne jamais tarir. Ce jour-là, elle se mit à fredonner, gaie, le soleil coulant sur son visage blanc qu'il réchauffait avec allégresse, consciente de l'harmonie qui remplissait son cœur.

Soudain, celui-ci déborda.

Le monde autour d'elle devint flou, les larmes pleuvaient sur ses joues et lorsqu'elle regarda ses mains, elle vit qu'elle avait fini la galette dont il ne restait que des miettes qu'elle lécha, engloutie par l'eau salé qui étouffait, noyait ses yeux car en réalité ceux-ci fixaient un plafond blanc maculé de taches noirâtres et d'où naissaient de multiples arantelles, grands fils de mousseline grise qui semblaient tendre vers elle. Le temps paraissait s'étirer, ralentir, s'intensifier, devenir plus sec, plus brutal, plus éprouvant et elle se sentait lourde. lourde.. lourde...

Elle était là. Elle avait toujours été là. Constante immuable. Figure de marbre. Sa tête lui faisait mal. Elle ne bronchait pas. Ses soupirs ne soulevaient plus sa poitrine. Elle était immobile. Trop consciente pour être morte. Trop vide pour être vivante. De ses yeux bleus délavés, on ne voyait plus que le blanc. Elle était allongée. Sur le dos. Pas de fenêtre. Pas de lumière. Juste un néon bleu qui l'éblouissait. Pas de chants. Pas de musiques. Pas de bruits. Pas de sons. Ou plutôt si. Un. Un seul. Celui qui survenait tous les jours à la même heure. Elle l'appréhendait ce tumulte. Il en amenait tant d'autres. C'était celui des clés. De son mari. Qui tentait d'ouvrir la porte.

Et tous les nuages qui parsemaient son corps lui firent subitement mal à nouveau.


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⏰ Dernière mise à jour : Mar 23, 2020 ⏰

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