Ma vie est un rap sans refrain.
Des événements qui s'accumulent, des sons qui se répètent et s'enchâssent sur un fond qui tourne en boucle.
Parfois ça sonne mal. Parfois c'est divin.
Parfois ça s'accélèrent. Ouais, tout est d'un coup beaucoup trop rapide. Tellement rapide qu'on finit par bafouiller, butter, se penser médiocre et finir par retrouver le tempo.
Ouais, c'est ça, l'histoire de ma vie. Sauf que ce n'est pas un cycle éternel.
Parce qu'elle va bien finir par ne plus être qu'une série de grésillements sur la piste audio, cette mascarade. Mais quand ? Je n'ai aucun refrain prêt à être répété en guise de conclusion. Chacune de mes paroles pourrait être la dernière. Est-ce que c'est ça qui leur donne une telle valeur ? Valeur que je gâche par des textes vides et faibles, valeur que j'approche avec la puissance que je donne à certains mots.
Valeur que je ne connaîtrais qu'au moment où la chanson de quelqu'un d'autre aura trouvé sa fin.
C'est aussi triste à dire qu'à entendre. Mais il est bien connu que « c'est quand on risque de perdre les choses qu'on comprend leur valeur ». Un jour, ma boucle d'apparence infinie aura l'idée d'aller decrescendo. Alors, chaque note sera tellement pianissimo que mes punchlines auront du mal à trouver leur sens.
Et mon cœur ratera un battement.
Deux, trois. Et puis cinq, six, sept, huit ! C'est reparti. La boucle résonne dans mes oreilles et je chante. Faux. Je n'ai jamais su rapper, alors j'improvise.
Un peu comme tout le monde sur cette planète.
Certains n'aiment pas le rap. Ils préfèrent les grésillements. Ils pensent que les écouter pourra les guérir de leur affreux tempo. Alors ils arrachent l'antenne de l'autoradio. Ça grésille. Personne autour n'aime ces sons ternes et plats. Leur tempo s'assombrit, parasité.
On comprend la valeur du rythme que notre cœur faisait résonner avant que l'autre décide de tout envoyer en l'air, à commencer par lui-même.
Le titre de ma chanson, je ne l'ai pas encore trouvé.
L'ai-je déjà cherché ? Des millions de fois, dans le noir, les yeux refusant de s'abandonner au sommeil. Des millions de fois, oui. En vain.
A quoi bon ? Quelqu'un a-t-il déjà trouvé le sien, au moins. Peut-être. Ou peut-être faisait-il semblant.
De toute façon, d'autres se chargeront d'en inventer un quand je grésillerai. Un titre censé résumer le rap de ma vie. Je dit censé parce qu'il n'est jamais réellement adapté.
Jamais.
Parfois, deux boucles se trouvent.
Parfois, elles s'harmonisent.
Parfois quelques heures.
Parfois quelques vies.
Parfois c'est un parfait mashup.
Et le retour à la boucle influence le tempo.
Le ralentit, l'accélère, fait trébucher, les paroles s'enchaînent, trop vite, trop dures, trop essoufflantes, le nouveau Rap God sauf qu'Eminem a le talent que tu n'as pas, les mots s'écorchent sur ta langue, meurent dans ta bouche, tu avales leur cadavre, gardes ce goût amer quand tu déglutis, leur trace sur ton âme rayée comme un vieux disque.
Tu songes aux grésillements.
Mais la boucle reprend.
M.
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5 Nuances de Vie [Ⲧⲉⲅⲙⲓⲛⲉ́ⲉ]
Short Story"vie (n.f) : fait de vivre, propriété essentielle des êtres organisés qui évoluent de la naissance à la mort. Synonyme : existence" [12/02/2020]