Tout comme Troy, je n'arrive pas à faire abstraction des nombreuses voix qui s'élèvent à la place publique : des voix curieuses, des voix indignées, des voix tristes, des voix mécontentes, des voix accusatrices. Un mélange symphonique dysfonctionnel. Je marche derrière Troy, m'assurant de ne pas croiser son ombre. Les habitants se sont attroupés pour assister au spectacle.
Je repère ma mère et mon frère qui sont déjà sur place.
― Qu'est-ce qui s'est passé? demandé-je aussitôt.
― Un meurtre, répond machinalement mon frère, visiblement perplexe, mais peu surpris.
Mon instinct me hurle que le fautif est Troy, pourtant, je n'ai pas encore vu le cadavre. Nul doute qu'il est l'auteur de ce crime. Troy tue impunément les gens ; il ne se soucie pas des conséquences. Il est capable du pire, même envers les siens. Je le vois d'ailleurs qui se fraie un chemin au travers des habitants, bousculant certains, ordonnant à d'autres de lui céder le passage. Seuls les psychopathes ressentent le besoin d'admirer leurs œuvres.
Une jeune fille a été retrouvée morte aux abords d'un puits, ce matin, de ce que je comprends. Le corps reposait inerte dans une bâche transpercée d'un pieu au niveau de la tête.
― L'assassin ne voulait pas voir le visage de sa victime, énonce ma mère sans élever la voix.
C'est sa première hypothèse. Je sais reconnaître les signes ; elle est nettement sur la défensive depuis ce nouveau meurtre. Son visage professionnel est à toutes épreuves. Elle pourrait presque me berner, moi aussi.
― Sûrement Troy, chuchoté-je pour qu'elle seule entende. Il était déjà dehors quand je me suis réveillée ce matin. Il a sûrement fait ça cette nuit.
― Nous avons déjà parlé de ça, Alicia. Pas maintenant.
Ma mère chasse mes accusations d'un mouvement bref de la main, ce qui me fait grimacer. Sans poser le moindre regard sur Nick ou sur moi, elle s'avance, à son tour, dans la foule pour rejoindre les membres de la famille Otto. Jake est là aussi, je ne l'avais pas vu arriver. Je préfère garder mes distances. Au ranch, les esprits s'échauffent dès l'instant où le mot « mort » ou « meurtrier » est prononcé par quelqu'un.
Jeremiah essaie de calmer ses troupes, levant ses mains en guise de sollicitation, exigeant également le silence de manière à prendre la parole. Majoritairement, les femmes sont les premières à se taire, même si certaines persistent à faire entendre leurs lamentations. Les hommes sont davantage impatients. Du coin de l'œil, je remarque que Troy prend du plaisir à entendre les critiques à l'encontre de sa famille, comme s'il était le fils d'un monarque puissant. Quant à Jake, plutôt passif, essaie de calmer ses connaissances par des mots rassurants qui, malheureusement, ne portent pas leurs fruits. Il ne s'impose pas assez, alors personne ne le prend réellement au sérieux. Troy, il laisse le feu s'alimenter et s'éteindre de lui-même. Et moi, je ne sais pas pourquoi je m'entête à les comparer l'un à l'autre.
― Nous savons que les tensions sont de plus en plus grandes, mais nous avons besoin de votre collaboration et de votre confiance.
― Notre confiance? Alors que les nôtres sont décimés un à un? s'indigne une voix.
Le débat commence. C'est toujours le même refrain. Les habitants s'enveniment, puis se calment à l'instant où on leur offre une friandise. L'échange intensif entre les faux insurgés et la famille Otto devient peu à peu sourd à mes oreilles, lointain, tel un écho imperceptible. Je me déplace, je tends le cou pour apercevoir moi-même le cadavre caché dans son sac mortuaire. Je ne discerner rien, pourtant j'ai des nausées à imaginer la chair transpercée. Ce n'est pas ici que je vais obtenir des réponses.
Je m'adresse à Nick en chuchotant :
― Où sont les membres de la famille de la victime?
― On s'occupe d'eux à leur domicile, ils étaient secoués et inconsolables. Ils n'ont pas compris que leur vie était déjà foutue à rester ici.
― D'accord.
― Alicia, je connais ce regard. T'as l'intention de te mêler de ce qui ne te regarde pas?
― Tu vas m'en empêcher? dis-je sur la défensive, prête à parer ses avertissements bidons.
Mais il secoue la tête, résilient.
― Non, t'as raison, on devrait s'informer. Vas-y, je vais garder un œil sur maman.
Nick me semble étrange, mais je suis contente qu'il ne me retienne pas. J'aimerais lui demander ce qui cloche, mais je dois profiter de la cohue pour interroger les proches de la victime. S'ils peuvent m'avouer que Troy est coupable, je pourrai le discréditer rapidement.
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I won't stay dead
HorrorLes morts n'ont aucune pitié pour les vivants. Un groupe de survivants s'est réfugié malgré lui dans un ranch aux mœurs particulières. C'est dans cet endroit qu'Alicia fait la connaissance de Jake et Troy Otto. Peut-elle réellement ouvrir son coeur...