Les pierres rouges

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Châtillon-en-Diois, décembre 2045.
  C'était une soirée entre vieux amis. Il neigeait et le feu crépitait dans la cheminée.

Les vieilles personnes s'étaient rassemblées autour de la table, et se racontaient les histoires terrifiantes qu'ils avaient inventées pour se distraire.

Quand vint le tour de la vieille Lucette, elle insista :
« - Je ne l'ai pas inventée. Je l'ai vécue. »

Les deux vieux assis à côté d'elle esquissèrent un sourire et pouffèrent discrètement. Tout le monde dans le petit village savait que Lucette Lemaire n'avait pas toujours toute sa tête.

" J'avais onze ans. Je passais mes vacances d'hiver en colonie, près de la montagne. Nous étions très peu ; sept avec Cate, la monitrice.

Tout se passait à merveille. Nous nous amusions dans la neige, faisions des raquettes et buvions du chocolat chaud, le soir, devant la cheminée qui crépitait de chaleur.

Puis vint le jour de cette sortie en forêt.

Il y avait, tout près du chalet de la colonie, un petit bois absolument charmant. Les grands pins, recouverts de lourds flocons, filtraient la lumière du soleil, si bien que la forêt était claire et bleutée.

Nous marchâmes longtemps. Nous fîmes même un bonhomme de neige. Plusieurs de mes camarades et moi-même nous étions éloignés afin de débusquer des cailloux ou des marrons,
pour décorer notre bonhomme.

" - Venez voir ! s'écria Paul. J'ai trouvé un rubis ! ".

Il était tout excité, et nous essayâmes tant bien que mal de courir jusqu'à lui, l'épaisse poudreuse ralentissant nos mouvements.

Je me rappelle très bien la première fois que j'ai vu cette étrange et maudite pierre. Elle était d'un rouge-orangé fascinant, et brillait comme le feu dans la blancheur de la neige. On avait presque l'impression de voir vaciller une flamme à l'intérieur de la pierre, comme prisonnière.

" - Ça n'est pas un rubis " objecta Alice.

Elle se baissa pour la ramasser. Mais à peine sa main, pourtant gantée, se referma sur la pierre qu'Alice poussa un cri et la lâcha.

" - Elle... Elle m'a brulée ! " lança-t-elle.

Elle retira sa main de son gant et nous constatâmes avec stupeur que ses doigts étaient rouges.

" - Mets de la neige dessus " proposa Paul.

Elle s' exécuta et ses doigts redevinrent instantanément normaux.

J'eus alors une idée. Stupide. Mais je ne le savais pas encore.

J'enlevai mon gant et pêchai la pierre avec.
" - La voilà prisonnière !
-Bravo ! " me félicita un autre de mes camarades, dont, j'espère que vous me pardonnerez, j'ai oublié le nom.

Ne pouvant pas nous servir de cette pierre pour orner notre bonhomme d eneige, nous prîmes quelques cailloux trouvés ici et là à la place.

Nous revînmes au chalet une heure plus tard. Ma main avait presque gelé, car je n'avais toujours pas remis mon gant qui contenait la pierre.

Nous n'avions pas dit un mot à Cate à propos de notre découverte, de peur qu'elle nous confisque notre bijou.

" - Elle serait terrifiée à l'idée qu'on puisse se brûler, objecta Paul.

- Ou elle voudrait le vendre ! Il ferait un beau pendentif, remarqua à son tour Alice.

- Un beau pendentif ? m'exclamai-je alors. Pour se brûler le cou ? Très bonne idée ", ironisais-je.

Les pierres rougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant