Il était midi. Je marchais dans les rues de la capitale. Chaque bâtiment, robuste et solide était relié à un autre par le ghetto perpétuel de la rue. Tous ces préfabriqués étaient tantôt un refuge, tantôt une prison où desséchaient des corps putrides. Face à moi, une affiche de propagande du régime couverte par celle de l’opposition était recouverte de sang frais, tandis qu’on entendait les cris de douleur d’un homme dans la rue d’à côté. Ce quotidien, bien que répugnant au premier abord, eut tôt fait de me lasser et me laisser indifférent.
En rentrant chez moi je descendais les poubelles et le mort des escaliers aux ordures, puis je programmais un cinéma avec mon meilleur ami Asmoth : le dernier film de propagande venait de sortir, chaque visionneur était enregistré et à la fin du premier mois, dix absents tirés au hasard étaient publiquement exécutés dans chaque ville. À chaque séance, Asmoth prenait note de tout ce qu’il voyait et ce qui se disait.
Plus tard dans la soirée il m’invita chez lui boire un coup. Contrairement à moi, il était toujours écœuré de voir toute la misère de la ville : c’est pourquoi il était à la tête de la résistance. Je venais toujours à leurs réunions, c’était amusant de voir à quel point l’Homme pouvait espérer et rêver face à des situations si destructrices. Ce qui était d’autant plus amusant, c’était de voir chaque jour de nouveaux venus, et tout ça sans que le régime ne nous prenne. Nous étions bientôt un petit millier, avec à chacun une tâche bien définie : imaginer, dessiner, imprimer, relayer les affiches, mais aussi les films, chercher de nouvelles planques, passer des messages radios, écouter les transmissions du régime et j’en passe. À la fin de chaque réunion il y avait un petit banquet pour remercier les nouveaux arrivants, et les anciens. Mais celui-ci me rendit officiellement résistant après insistance des anciens membres, j’y étais depuis sa création.Ce soir Asmoth était venu dormir chez moi. On avait bu quelques verres de plus, rigolé puis nous nous étions couchés. Le matin je buvais tranquillement mon café et regardais par la fenêtre une femme agoniser, son corps trahissant sous-nutrition et hypothermie. Quand Asmoth me rejoignit il ferma les stores vénitiens et me regarda de travers. Il faudra que je l’amène à la benne, lui répondais-je tranquillement en nous resservant de café. Par la suite nous nous étions promenés vers la résidence du Dirigeant, elle était immense, en forme de diadème, laissant une grande place pour que nous puissions assister indifférents et impuissants aux divers événements. Il se montrait depuis le balcon de façade relié à nous par deux escaliers latéraux gardés. Il y avait plusieurs carrés de verdure et des arbres minutieusement placés en harmonie avec le reste du bâtiment. Sur le chemin du retour, il placardait une dizaine d’affiche : à l’issue de la prochaine réunion, nous devrions être suffisamment pour reprendre la capitale et renverser le régime. Elle aurait lieu dans une semaine.
Le matin, nous étions une dizaine à finir les préparatifs tandis que la ville entière était aux aguets. Vers dix heures, nous sortîmes, arme en main, et avançâmes déterminés vers la résidence du Dirigeant. Chaque ruelle franchie, nous gagnions en nombre et en puissance. C’était sans le moindre mal que nous réduisîmes la garde matinale à néant. L’armée, jadis si imposante, alertée par le vacarme et les cris de haine des résistants, se vit forcée de reculer face à la masse qui se tenait devant elle. Le Dirigeant se montra alors par le balcon. Il était droit, grand, les bras croisés, le regard porté sur la capitale, la masse, la rébellion, nous, Asmoth. Puis il esquissa un sourire. Nous avancions toujours jusqu’à tous nous retrouver sur la place, armés de tuiles, de planches, de briques, de lames, de revolvers et de détermination.
Le Dirigeant, lorsque nous fûmes tous sur la place, leva la main droite, et prit la parole. « Cher peuple ! Qu’il est bien triste de vous voir ainsi repousser jusqu’à mon armée, conquérir ma demeure. Quelle est donc cette colère qui peut bien vous habiter? J’ai anéanti criminalité ! J’ai mis à disposition des patrouilles jour et nuit pour votre sécurité et vous aider si besoin. Il y a même des divertissements tous les jours et des films tous les mois ! Si vous avez des réclamations à me faire, pourquoi le chef de votre groupe ne viendrait-il pas me voir pour négocier ? Les choses seraient tellement plus simples. »
À ces mots, la capitale leva uniformément la main armée vers le ciel et poussa un cri de rage. Asmoth courut vers le Dirigeant tandis que la capitale éperonnait l’armée et détruisait le bâtiment. Un instant plus tard, résonnait le son de deux coups de feu provenant de l’intérieur du bâtiment, puis le silence. Tout le monde s’était tu, une ombre venait vers le balcon. Revolver à la main, l’ombre tira un coup en l’air puis son visage s’éclaira : Asmoth.« Aujourd’hui, un régime est mort ! Et la résistance aussi. »
Il pointa l’arme vers moi et tira dans mon épaule. Puis dans mon ventre. La capitale était choquée, comment le chef de la résistance pouvait-il ainsi mettre un terme à son œuvre ? Se pouvait-il seulement que cette révolution ait servi à quelque chose sinon connaître chacun des traîtres du régime pour mieux le reconstruire ? Je ne sais pas. Je ne le saurai jamais. La ville était à feu, les ghettos détruits, les rues étaient sales, couvertes et remplies de débris, mais vidées de la misère humaine. Les dernières choses que je vis furent le doigt sur la détente d’Asmoth, tirer sa dernière balle. Je la sentis pénétrer mon crâne comme l’armée dans la masse. Le premier impact, de courte durée, fut mou, mais suivi d’une plus grande résistance. Une fois la barrière franchie, il n’y avait plus aucun mal à avancer, ne plus s’arrêter. Bientôt l’armée ne marchait que sur des corps et des débris dont je faisais désormais partie. La ville était à sang. Il était midi.
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Doux régime, petite révolte
Short StoryNouvelle écrite pour un concours, elle raconte l'histoire d'un homme qui vit au milieu d'un régime totalitaire alors qu'une révolution se prépare.