Si je meurs

Chapitre 1 : Première rencontre

Juin 2018

- Tu n'as pas le droit !

Les voix grommelaient dans ce salon aux accords théâtrales, c'étaient toujours les mêmes comédiens sur scène, un Alek tout sourire et une sœur à bout de souffle. Un mois qu'il était revenu pour les vacances et un mois qu'il se démêlait à trouver toutes sortes de manigances pour m'embêter. Aujourd'hui il avait décrété qu'il avait le droit de venir en weekend en compagnie de mes amis, plus spécialement de Maya, ou juste pour me surveiller, en tout cas, voilà qu'il gâchait tout. Cela devait être notre moment, mon moment hors de cette ville et surtout sans être enchainée aux affaires familiales. Car oui, Alek était une affaire familiale, la pire de toute.

Sa valise était déjà devant l'entrée et je le regardais, révulsée, sans bouger ou même ciller à son sourire arrogant. Du coin de la pièce, ma mère nous épiait attentive de nos moindres gestes, ça l'amusait : voir sa fille vouloir tuer son fils, oui ça l'amusait.

- Eliana, ton frère veut juste passer un moment avec toi.

Conneries.

- Il est tout le temps avec moi, disais-je en tapant presque du pied, maman ! J'avais promis à Maya qu'il n'y allait avoir qu'elle et moi.

- Je suis d'accord moi.

Maya était sortie de la cuisine munie d'un paquet de sandwich, elle préparait pour plus de deux personnes. Elle avait les cheveux blonds qui s'alliaient parfaitement au temps estival, un léger parfum de vanille à son cou, si on l'approchait d'un mètre il venait automatiquement nous câliner quitte à dire encercler. Néanmoins, voilà qu'au lieu de m'aider elle préférait être du côté de mon frère qui ne tardait pas à souligner ses mots, elle est d'accord on y va, abruti.

Mon regard noir n'avait rien changé à la situation, j'étais bien obligé d'accepter le déroulement des choses, un soupir de ma part puis les valises étaient déjà mises dans le coffre.

- Attends, il reste elle.

Cette voix me paraissait inconnue mais pas hostile, un nouveau protagoniste avait fait irruption dans la pièce. C'est un sketch, me surpris-je à souffler en voyant sûrement le pote de mon frère agir comme s'il avait été invité au voyage.

- Salut, Alekseï m'a invité à la dernière minute. Je m'appelle Eden.

C'est là que tout avait commencé, que mon regard avait croisé le sien. Il avait le froid de la Sibérie dans ses pupilles glacés, simple glace pilée à ses légères tâches de rousseurs. Il était d'envie et désirs, d'arme et plaisirs, c'était un vent frais en cette saison chaude. Si à ce moment j'avais pu savoir tout ce qui allait se produire, j'aurais rebroussé mon chemin ; il avait apporté une tempête à ma vie.

- Il prend trop ses aises, cet Alekseï.

A ma phrase il n'avait pas tardé à montrer une partie de son sourire, lui aussi devait être amusé de la situation. La seule chose de bien avec ses invités c'était que Maya et moi n'étions pas obligée de conduire, au contraire on avait presque dormi tout le voyage jusqu'à arriver à destination. Seulement deux heures de route pour rejoindre la plage, avec notre propre appartement au bord de l'eau, je remerciais notre père de nous le laisser à chaque été. C'était un moyen qu'on avait trouvé pour pouvoir s'aérer l'esprit quand on ne partait pas en vacances.

Je me rappelais nos mois ici, à son bord, je me rappelais mes découvertes avec mon père, je me rappelais sa présence. Je me rappelais tout et l'effluve de la mélancolie était venu serrer mon cou, parce que tout ce dont je me souvenais n'étaient dorénavant que de simples mirages. C'était bien le premier été qu'on passait sans lui, peut-être qu'au final cet appartement était tout ce qu'il nous restait. De lui, de nous, de notre famille. Pas à pas j'avais repris mes marques, mes doigts passant sur les couches de poussières à nos cadres, et à son visage : je m'arrêtais. Sur celle-là il souriait de toutes ses dents, il avait l'air heureux.