« La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit !- Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais ou je vais,
Ô toi que j'eusse aimé, ô toi qui le savais ! »
Charles Baudelaire, « A une passante » Les Fleurs du Mal.
La rue était très fréquentée, située en parallèle d'un long boulevard, elle accueillait des milliers de passants en tout genre chaque jours. Il y avait les badauds, qui s'y promenaient admirant la toute nouvelle architecture de la ville, les petites gens, classes travailleuses, qui toujours pressées arpentaient les rues sans jamais s'arrêter parées de colis, bacs et autres sacs en-dessous du bras. Il y avait ces hommes, aux visages sombres et sourcils arqués qui n'avaient autres choses en tête que leurs réunions d'affaire. Il y avait aussi ces bourgeois, vêtus de belles choses, qui par de merveilleux sourires se penchaient dans l'alcôve des vitrines de ces nouveaux grands magasins qui faisaient le malheur des petits commerçants. Ainsi que ces dames, dans leurs étoffes de et de leurs pas légers qui partaient travailler, l'esprit passablement tourmenté par leurs économies. Ou encore, ces ouvriers, qui escaladaient ces vieux bâtiments, se défiant des lois de la gravité et aménageant le « nouveau Paris ». Sans oublier, les fiacres et voitures qui longeaient les rues, et dont les chevaux de leurs sabots martelaient le rythme de la vie de la rue. C'était tout un monde, qui à la lueur du jour, prenait place dans les rues sinueuses des quartiers anciens et nouveaux. La foule, grossissait et évoluait entre ces bâtiments, telle une houle que jamais une falaise n'arrête. Elle se répandait dans tout les coins, des plus sombres au plus éclairés, avec la même et inlassable cacophonie. Ciel qu'elle était bruyante ! Rien n'était plus horrible que de se mouvoir à travers cette vague indifférente. Le calme des anciens temps avaient depuis longtemps disparu et seul cette nouvelle frénésie restait.
L'homme était sorti du restaurant où il servait. Son métier n'était pas des plus palpitants, ni des plus reluisants mais contrairement à d'autres il suffisait pour vivre décemment. Pour ses cinq minutes de pauses, il s'était adossé contre le mur à l'extérieur du restaurant, près de l'entrée. Depuis quelques secondes déjà son regard errait sur cette terrible calamité nommée foule qui avait plus d'une fois fait trembler de peur les gouvernements. Une fine fumée s'échappa de sa bouche tandis que sa cigarette s'écourtait à chaque inspiration. Il ferma ses yeux fatigués et inspira une bouffée d'air tentant de faire abstraction à l'agitation mondaine. Ciel ! qu'il aimerait être dans un endroit calme. Mille voix l'assaillaient et tournoyaient dans ses oreilles dans un affreux tintamarre. Il avait la sensation qu'un marteau martelait sa tête comme un forgeron bat son fer. Soudain, un bruit fracassant retentit au-dessus de l'agitation de la rue. Il y eut des exclamations horrifiées puis un silence magistrale prit place. Il ouvrit les yeux intrigué. Un accident de fiacre, une voiture avait renversé un passant et déjà une foule s'amoncelait autour de la victime. Le serveur pinça des lèvres puis haussa les épaules : pas son problème. Le silence fut de courte duré, l'agitation de la rue repris de plus belle. L'homme grogna, tout les jours le même bruit épuisant, tout les jours le même travail harassant, tout les jours les mêmes choses. Le serveur était sans-cesse entouré et pourtant il était seul. Cette foule aux passants banals, il était entouré de visages ordinaires aux expressions toutes semblables les unes aux autres. Sa vie n'avait ni haut ni bas, il était seul, travaillait dur pour un revenu médiocre mais pas misérable et la foule qu'il côtoyait tout les jours l'indifférait. Excepté le bruit qu'il supportait de moins en moins. Il jeta à terre son mégot qu'il écrasa de la pointe de son pied et sur un coup de tête décida de traverser la rue. Peut-être le bruit serait-il moins fort de l'autre côté ? Cela n'avait aucun sens, mais l'esprit humain cherche des solutions étranges pour adoucir ses peines.
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Quand Les Poèmes Vivent
PoetryLes poèmes c'est bien jolies, Ils nous transportent ailleurs, De leurs beautés, ébahit On se trouve, entourés nous sommes, Par leurs sonorités aux milles couleurs. Oui, le poème est bel Homme, Mais que devient-il, quand par magie, il prend vie ?