Chapitre 14 : Megane

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Trois jours plus tard.

C'est fou tout ce qu'on peut ressentir et comprendre sur soi-même lorsqu'on est seul. Je n'ai plus la notion du temps depuis ce jour là. En fait, je n'ai plus rien à part mes états d'âme, mes pensées et mes cauchemars pour me tenir compagnie. Plus de famille. Plus d'amis. Plus de sensations. Et pourtant ça ne m'effraie pas. Tout ce que je peux faire, c'est penser. Plus aucune émotion ne fait battre mon cœur. Je ne sais d'ailleurs pas ce qui le fais battre. Voire s'il bat encore. Serais-je morte ? Est-ce donc cela l'Au-Delà ? Le néant ? Aucune image, aucune odeur, aucune texture, aucun goût, aucun bruit hormis celui de mes pensées ? L'horreur ! Je ne veux pas rester là, c'est hors de question ! Mais comment fait-on pour revenir ? Aller, Meg, tu peux le faire ! Pense à tout ce que tu vas louper si tu restes là : les anniversaires, les vacances entre amis ou en famille, la remise des diplômes... Aller Megane, bouge-toi ! Attend, qu'est-ce que c'est que ça ? Un bruit nouveau ? Concentre-toi dessus, Meg.

Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip...

Non... si je n'étais pas morte j'ai maintenant la preuve que je le suis... Mais... une minute... non... c'est possible ?

Bip, bip, bip, bip, bip....

***

Je crois bien que je suis en vie. Non, j'en suis certaine. Comment je le sais ? J'entends tout ce qui se passe autour de moi. Et je peux reconnaître presque tous les bruits. Au moment où ma conscience du monde extérieur reprend du service, j'entends qu'il y a beaucoup de monde autour de moi. La voix inconnue d'un homme, d'âge assez avancé, énumère des termes très techniques. Il doit s'agir du médecin. Une voix féminine lui répond. Impossible de ne pas reconnaître ma mère. Elle essaie de garder contenance, mais je peux sentir qu'elle est sur le point de craquer. Soudain, une voix s'élève, furieuse. C'est ma sœur qui, elle, n'arrive pas à rester calme. J'aimerais leur dire que je suis là, j'aimerais leur parler, les rassurer. Mais je ne peux pas. Alors je me contente d'écouter.

"Vous DEVEZ faire quelque chose ! Vous n'avez pas le droit de la laisser comme ça ! Vous devez la sauver !

-Calme-toi ma chérie...

-Je comprend ce que vous ressentez, mademoiselle, mais il semble peu probable que votre sœur puisse se réveiller. Et si elle se réveille, pensez-vous qu'elle voudra recommencer sa vie à zéro, tout réapprendre différemment ? Pensez-vous qu'elle supportera de ne jamais pouvoir être seule ?

-Et qui êtes-vous pour savoir ce que ma petite sœur serait prête à supporter ?"

Comme pour affirmer signifier que la discussion est close, quelqu'un frappe à la porte. Une infirmière ?

"Bonjour."

Ah non. Pas une infirmière. Déjà parce que c'est une voix masculine. Celle d'un adulte à coup sûr, mais beaucoup plus jeune que celle du docteur. Mais ce n'est pas un infirmier non plus. Parce l'homme semble demander s'il peut entrer, comme s'il avait peur de ne pas être le bienvenue. Personne ne répond. L'homme entre. Non, attendez. Il n'est pas tout seul. Je peux l'entendre avec les bruits de pas. Il y a quelqu'un d'autre avec lui. C'est là qu'une nouvelle voix s'élève.

"Salut Andy."

Un ami d'Andy ? Et si c'était le mec avec qui je l'ai vue plusieurs fois ? Si c'est lui, il a une voix aussi sublime que son physique. OK, je le l'ai aperçu que de loin, mais ça m'a suffit pour comprendre pourquoi ma soeur l'aimait bien. Des cheveux courts bruns très foncés, presque noirs, une musculature saillante mais pas imposante, un teint bronzé et assez grand. Sa voix, quant à elle, est juste... miraculeuse. Il a parlé d'un air triste, ça ne fait aucun doute, mais c'est la voix la plus chaleureuse qu'il puisse y avoir dans cette pièce. Une étincelle. Non, un rayon de soleil. Le premier rayon de soleil de l'aurore, le plus magnifique de tous.

J'attends de voir... non t'entendre ce qui va se passer.

Andy ne répond pas. J'entends à sa respiration qu'elle est hors d'elle.

"Comment va-t-elle ? demande l'homme qui est entré en premier (sûrement le père de ce garçon à la voix enchanteresse).

-Venez, déclare ma mère. Allons parler à l'extérieur."

J'entends trois personnes sortir. Donc il y a encore deux personnes dans la pièce. Je suis prête à parier qu'il s'agit de ma sœur et de son copain.

"Qu'est-ce que tu viens faire ici, Matt ?"

Bon, je peux mettre un prénom sur cette voix. Matt.

"Tu ne peux pas savoir à quel point je m'en veux, Andy. Je suis venu te voir, voir comment allait ta sœur...

-Par la faute de ton père, ma petite soeur est dans le coma depuis trois jours ! Megane ne se réveillera peut-être jamais ! Et si elle finit quand même par ouvrir les yeux, elle se sera plus jamais comme avant ! Vous avez détruit une partie de sa vie ! Et vous avez détruit notre famille qui ne tenait déjà plus qu'à un fil !"

Je l'entend sortir. Matt l'appelle une fois, mais elle n'en fait rien. Je l'entend soupirer. Nous sommes donc tous les deux tous seuls dans cette chambre. Je l'entend se déplacer et s'asseoir à côté de moi.

"Megane, c'est ça ? Je suis tellement désolé. Tu sais, malgré ce qu'à dit Andy, ce n'est pas de la faute de mon père. Enfin, pas entièrement. Je suis aussi responsable. J'ai fait une grosse connerie et mon père était furieux. C'est parce qu'il m'engueulait dans la voiture qu'il a quitté la route des yeux... et t'a percutée."

Je n'en crois pas mes oreilles. Il me fait des aveux ! Il avoue en toute sincérité que c'est de sa faute si j'en suis là. Ou alors il profite de mon coma pour me révéler des choses qu'il n'aurait jamais eu le courage de me dire si j'avais été apte à lui répondre. Pourtant, le mélange improbable de chaleur et de douleur dans sa voix m'empêche de lui en vouloir. En même temps, mis à par le coma, je ne sais pas ce que j'ai. Peut-être que je serai furieuse quand j'apprendrai quelles sont les conséquences de cette accident. Oui, je le serais même certainement. Mais toute cette culpabilité qui traverse ses lèvres m'incite à ne pas lui en vouloir pour l'instant.. Je suis sûre que je pourrais voir ce même sentiment briller dans ses yeux et ternir ses pupilles dont j'ignore la couleur. Et peut-être que je ne les verrais jamais... Après tout, le médecin a dit qu'il y avait peu de chance que je sorte du coma. Non ! C'est hors de question. Je veux vivre, même si c'est difficile. Je vais me battre pour que les gens que j'aime sachent que je suis toujours là.

Alors que je me force à reprendre le contrôle de mon corps, des voix étouffées me parviennent de derrière la porte de ma chambre. Soudain, la porte s'ouvre, et la voix de ma mère me donne presque envie de me boucher les oreilles tellement elle hurle.

"...interdis d'entrer ici ! Non mais vous m'écoutez oui, espèce d'abruti ?"

La personne a qui sont destinées toutes ces gentilles paroles fait comme si elle n'entendait rien et s'approche à grands pas. J'ai dit la personne ? J'aurai plutôt dû dire l'homme. Je peux facilement reconnaître une démarche masculine. Je ne sais pas ce qui est à l'origine de ce mouvement, mais Matt se lève d'un seul bond. Je comprend que l'homme qui vient d'entrer a dû le pousser pour prendre sa place. J'entends la main qui se pose sur ma joue plus que je ne la sens.

"Megane ?"

Merde ! Alors là je ne m'y attendais absolument pas... C'est Alejandro. Et il semble vraiment très très inquiet.

Sur mes tracesWhere stories live. Discover now