Chez Rasseneur, après avoir mangé une soupe, Étienne, remonté dans l’étroite chambre qu’il allait occuper sous le toit, en face du Voreux, était tombé sur son lit, tout vêtu, assommé de fatigue. En deux jours, il n’avait pas dormi quatre heures. Quand il s’éveilla, au crépuscule, il resta étourdi un instant, sans reconnaître le lieu où il se trouvait ; et il éprouvait un tel malaise, une telle pesanteur de tête, qu’il se mit péniblement debout, avec l’idée de prendre l’air, avant de dîner et de se coucher pour la nuit.
Dehors, le temps était de plus en plus doux, le ciel de suie se cuivrait, chargé d’une de ces longues pluies du Nord, dont on sentait l’approche dans la tiédeur humide de l’air. La nuit venait par grandes fumées, noyant les lointains perdus de la plaine. Sur cette mer immense de terres rougeâtres, le ciel bas semblait se fondre en noire poussière, sans un souffle de vent à cette heure, qui animât les ténèbres. C’était d’une tristesse blafarde et morte d’ensevelissement.
Étienne marcha devant lui, au hasard, n’ayant d’autre but que de secouer sa fièvre. Lorsqu’il passa devant le Voreux, assombri déjà au fond de son trou, et dont pas une lanterne ne luisait encore, il s’arrêta un moment, pour voir la sortie des ouvriers à la journée. Sans doute six heures sonnaient, des moulineurs, des chargeurs à l’accrochage, des palefreniers s’en allaient par bandes, mêlés aux filles du criblage, vagues et rieuses dans l’ombre.
D’abord, ce furent la Brûlé et son gendre Pierron. Elle le querellait, parce qu’il ne l’avait pas soutenue, dans une contestation avec un surveillant, pour son compte de pierres.
— Oh ! sacrée chiffe, va ! s’il est permis d’être un homme et de s’aplatir comme ça devant un de ces salops qui nous mangent !
Pierron la suivait paisiblement, sans répondre. Il finit par dire :
— Fallait peut-être sauter sur le chef. Merci ! pour avoir des ennuis !
— Tends le derrière, alors ! cria-t-elle. Ah ! nom de Dieu ! si ma fille m’avait écoutée !… Ça ne suffit donc pas qu’ils m’aient tué le père, tu voudrais peut-être que je dise merci. Non, vois-tu, j’aurai leur peau !
Les voix se perdirent, Étienne la regarda disparaître, avec son nez d’aigle, ses cheveux blancs envolés, ses longs bras maigres qui gesticulaient furieusement. Mais, derrière lui, la conversation de deux jeunes gens lui fit prêter l’oreille. Il avait reconnu Zacharie, qui attendait là, et que son ami Mouquet venait d’aborder.
— Arrives-tu ? demanda celui-ci. Nous mangeons une tartine, puis nous filons au Volcan.
— Tout à l’heure, j’ai affaire.
— Quoi donc ?
Le moulineur se tourna et aperçut Philomène qui sortait du criblage. Il crut comprendre.
— Ah ! bon, c’est ça… Alors, je pars devant.
— Oui, je te rattraperai.
Mouquet, en s’en allant, se rencontra avec son père, le vieux Mouque, qui sortait aussi du Voreux ; et les deux hommes se dirent simplement bonsoir, le fils prit la grande route, tandis que le père filait le long du canal.
Déjà, Zacharie poussait Philomène dans ce même chemin écarté, malgré sa résistance. Elle était pressée, une autre fois ; et ils se disputaient tous deux, en vieux ménage. Ça n’avait rien de drôle, de ne se voir que dehors, surtout l’hiver, lorsque la terre est mouillée et qu’on n’a pas les blés pour se coucher dedans.
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Germinal
General FictionÀ travers Germinal, Émile Zola dénonce et prend en charge la société.