Au fil de l'histoire, il est possible que certains mots de vocabulaire vous soient inconnus (période du 18ème siècle). Vous trouverez ainsi une petite * qui vous indiquera de descendre à la fin du paragraphe pour trouver la définition de ce mot. Bonne lecture !
Vous ai-je déjà parlé de lui ? Il me semble que non, ou alors je n'en ai pas le souvenir. Il est vrai que je ne parle pas souvent de cet homme, celui qui marqua un inoubliable passage de ma vie, et que jamais je ne permettrais d'oublier. Mais son souvenir m'est douloureux, me rappeler de lui resserre d'avantage cet étau de métal emprisonnant mon coeur depuis tant d'années, jusqu'à me faire suffoquer. Il fut tout pour moi, et aujourd'hui encore, son image hante mes rêves et mes cauchemars, et parfois, je croirais entendre sa voix grave murmurer à mes oreilles, et son souffle venir doucement s'écraser sur ma peau.
Mais ce soir, j'ai eu étrangement envie de parler de lui. Subitement, ce désir, un désir incontrôlable, avant traversé mon esprit comme la flèche transperce sa cible ; et cette envie, plus qu'un désir, était devenu un besoin, une nécessité.
Jung Wooseok était né un sombre jour d'hiver, le 4 janvier 1698, alors que dehors une neige pâle, drue et sans fin s'était mise à tomber. Les cris de ce tout nouveau né avaient probablement résonné dans toute la demeure, mais au dehors, s'étaient retrouvés étouffés par l'épaisse couche de poudreuse recouvrant Paris cette nuit là. Durant cette même nuit, peu avant 1h, le feu envahissait le palais de Whitehall, et réduisait en cendres chaque somptueuse parcelle du bâtiment londonien.
Je n'ai jamais su grand chose sur son enfance, tout cela semblait très proscrit, comme si le simple fait d'en parler était défendu. Il était enfant de parents immigrés, d'un pays d'Asie que l'on nomme "Corée", et tous deux avaient fui les conflits de l'ère Joseon en se réfugiant dans notre belle capitale française. C'est à peu près tout ce que j'ai su.
Lorsque je l'ai aperçu pour la première fois, nous étions alors en 1717, et Wooseok avait tout juste 19ans. J'en avais 24. Le Roi Soleil était mort il y a deux années de cela, le trône laissait une place vaquante, le dauphin* n'ayant que 7ans, et la France était dans un tel état de débandade que l'on ne savait plus où donner de la tête. En temps que courtisan, je ne pouvais que suivre les évènements et attendre que les choses se passent sans rien dire. Puis il était arrivé, jeune comte de Bragance, un tout nouveau visage, encore jamais vu à la Cour. "Comment était-il devenu comte ?" me demanderez-vous. Là encore, tout est très flou, mais la raison reste toujours inconnue à mes yeux. Il n'était pas marié, sa famille avait disparu ; seule sa demeure était connue du grand publique, un gigantesque manoir au fin fond d'une forêt de la Loire.
*dauphin : successeur du Roi
Ce jeune homme, à la peau pâle, semblable à la neige symbolisant sa naissance, aux cheveux couleur charbon lui tombant par mèches ondulées sur le visage, un visage aux traits asiatiques, de grands yeux en amande, sombres et perçants ; pour sûr, il n'était pas quelqu'un que l'on pouvait oublier ! Et sa taille, quelle taille ! Il me dépassait d'au moins une demi-tête, et selon mes calculs, il devait mesurer pas moins de 75 pouces* ! Je me souviens encore avec précision de l'habit qu'il portait en ce début mars, un magnifique kimono en Nankin, brodé d'Ungent* et de fils d'or. Une tenue tout à fait resplendissante, et sûrement très onéreuse. Dès le premier instant, il m'a intrigué, j'ai immédiatement voulu en savoir plus à propos de lui, le connaître, entendre sa voix dont je tentais déjà de deviner l'intonation. Il m'impressionnait. Je restais là à le regarder encore et encore, le détaillant jusqu'au dernier recoin. Autour, on chuchotait déjà des rumeurs, des suppositions, la moindre bagatelle pouvant le concerner.
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Tibi Soli
Historical FictionSes yeux sombres et sa bouche sanglante vous feront trembler.