Je soupirai et me pris la tête entre les mains. Autant abandonner. Cela ne servait à rien. Je m'installai plus profondément au fond de mon siège et fixai la feuille blanche face à moi. Vide. Rien du tout. Vide de mot. Vide de sens. Vide, vide et encore VIDE ! Je hurlai ces derniers mots. Le son de mon cri résonna longtemps dans la pièce comme l'écho incessant de mon échec.
J'inspirai. Je tournai la tête. La feuille n'avait pas bougé. Je la regardais désespérée et elle me regardait amusée. Elle avait un sourire cruel sur les lèvres, un air hautain, fière de me voir ramper à ses pieds. Elle jouait tellement avec moi. Dès que je tendais la main, dès que je m'emparais de mon stylo, dès que je l'effleurais, elle partait. Elle s'enfuyait dans un rire, se cachait pendant quelques minutes pour revenir me narguer en pouffant. Elle souriait car elle se savait dans une éternelle répétition. Elle savait très bien que je n'y arriverais jamais, qu'elle serait toujours hors de ma portée et qu'elle pourrait toujours se délecter de mon impuissance.
Son sourire m'agaçait. Elle m'agaçait. TOUT m'agaçait ! Je voulais la tâcher, l'ensevelir, la souiller sous un flot d'encre noire pour mettre fin à ce stupide rictus. Mais c'était impossible. Je le savais et elle le savait. Nous étions piégées. Prisonnières l'une de l'autre.
Je passais mes mains dans mes cheveux les tirant de désespoir avant de les ramener sur mon front et de tirer ma peau. J'ouvris les yeux. Elle était face à moi. Si près et si loin à la fois. Elle jouait avec moi. Elle se jouait de moi ! Elle s'amusait comme les petits enfants aiment s'amuser avec leurs poupées, maniant ses membres, se délectant de contrôler ses moindres gestes, ses moindres pensées, SA VIE ENTIÈRE !
Comme un serpent s'entortillant doucement autour de sa proie, je sentais son regard glisser sous ma peau, l'embrassant et laissant une empreinte rouge et violacée sous son passage. Je retiens un frisson d'horreur. Je ne pouvais rien faire. Autant abandonner. C'était mieux. C'était...bien. C'est ce qu'il fallait faire. Je devais rompre le fil qui me reliait à elle, à cette feuille. Je devais le couper une bonne fois pour toute. Cette mascarade devait prendre fin. Elle doit prendre fin !
Mais j'hésitais. Encore. C'était peut-être moi le problème ? Peut-être qu'avec un peu plus d'efforts ? Et si je modifiais certains détails, si je mettais un peu plus de vie ou si je changeais ? Mais son rire retentit dans la pièce. Mes pensées se stoppèrent. Je serrai les poings. Elle se moquait de moi. Encore. Je revis ses rires, ses sourires, ses remarques cruelles, ses fuites. Tout se jouait, s'accélèrait, ralentissait pour redoubler d'ardeur. J'étais assaillie sous un flot d'images, assaillie par ses rires qui revenaient en boucle, par ses yeux de vipères qui se reflétaient dans les miens, par son sourire détestable que finalement j'AIMAIS ! Je haletai bruyamment. Je ne contrôlais rien. Comme à chaque fois. Les images revenaient plus bruyantes, plus fortes, plus nombreuses, m'agrippant de leurs griffes, m'étouffant de leurs mains et me riant, me riant au visage !
Soudain, elles disparurent. Je relevais la tête face à elle. Cela doit cesser. Mon regard était sombre et déterminé. Ma mâchoire contractée sous la colère. Mes dents, mes jointures crissaient sous la pression. La feuille ne riait plus. Je l'entendis déglutir. D'un mouvement vif, je bondis vers elle et la saisis violemment. Je l'avais dans mes poings serrés. Elle paraissait si fragile, si minuscule, si inoffensive dans ma grosse main...
Je ne me laisserai pas avoir ! Ses coins se plièrent misérablement vers le bas, comme des larmes coulant doucement le long de son visage. Je bougeais ma main. Elle se tourna vers moi, quémandant ma pitié. Je secouai la tête. C'était terminé. Il fallait que ça cesse !
Lentement, sans détourner mon regard de son corps pendant, devenu dépendant du mien, je levai les bras vers la lumière. Je mis mes mains sur chacune de ses extrémités. J'inspirais profondément. Je n'osais y croire. J'allais vraiment le faire cette fois ! Rien ne pouvait m'arrêter. Je la regardais une nouvelle et une dernière fois. Ma poigne violente l'avait complètement chiffonnée et des plis ressemblant à des cicatrices zébraient l'entièreté de son corps. Pas un centimètre de peau n'était épargné. Elle bougeait, se pliait, se débattait avec hardeur, se tordait dans des positions incongrues, tentait de s'enfuir loin de moi. Elle semblait agitée par de nombreux et violents sanglots.
Subitement, elle s'arrêta et me fixa. Elle s'était résignée. J'avais gagné. Un goût amer assaillit ma bouche. Bien triste victoire. Je fermais les yeux, n'ayant ni le courage ni la volonté de la voir agoniser, puis mourir dans mes mains. Mes doigts bougèrent. Un cri perçant se fit retentir. Je ne savais même pas laquelle de nous deux avait crié. Le hurlement résonna longtemps, me donnant de violents haut-le coeur. Je m'étais rendue aveugle mais je n'étais pas sourde. Chacun de ses cris se répercutait dans la pièce et était comme un coup de poignard pour moi. Quand il prenait fin, il se rejouait inlassablement dans mon esprit et m'offrait une deuxième écoute, une deuxième torture. Sitôt que les derniers sons résonnaient, un second cri retentissait et une nouvelle douleur survenait. Amère répétition.
J'inspirai une nouvelle fois, fermant plus fort les yeux. J'avais fait le premier pas. Le second ne serait pas si difficile n'est ce pas ? Mes mains bougèrent de nouveau. Un hurlement retentit et par réflexe je rouvris les yeux, apeurée. Ce que je vis me brisa le coeur. Une larme dégringola le long de ma joue pour atterrir sur la déchirure du papier. Un petit gémissement lui échappa. Ma larme l'avait brûlée tant elle était salée et amère. Je vis son visage rongé par la souffrance. Ses yeux brillant de larmes, de douleur et de désespoir. Sa bouche s'entrouvit et un murmure s'en échappa. "S'il te plaît...pas encore".
Je me stoppai et la lâchai avant de fuir à l'autre bout de la pièce. Je me pris la tête entre les mains. Tout m'oppressait. Les ombres autour de moi semblaient s'approcher de plus en plus, engloutissant tout l'espace à coup de mâchoires gourmandes et m'ensevelissant sous les ténèbres. Les murs, la bave à la gueule, se rapprochaient dangereusement, un air menaçant au visage, ils grignotaient petit à petit la pièce, conquérant de leurs pattes avides, chaque endroit, chaque centimètre, ne me laissant plus rien. Soudain, l'air disparut. Paniquée, je fis des mouvements désespérés dans l'espoir d'aspirer une goulée d'oxygène, de trouver un échappatoire, de m'enfuir. Je me lançai contre les murs et les griffai de mes ongles. Je me jetai une fois, deux fois, trois fois avant de m'effondrer au sol. Je n'avais aucun échappatoire. J'étais piégée. J'étais perdue.
Soudain, je la vis entourée de lumière. Ma feuille. Sur mon bureau. Je fis un pas. Puis me ravisai et reculai précipitamment. Encore ? Je savais à quoi m'en tenir non ? Pourquoi ça changerait cette fois ? Je n'avais que des idées de merde ! Tout était pourri comme ma sombre et misérable personne ! Plein de rage, je frappai dans un meuble non loin de là. Je me figeai. Et si ? Non. Je me tournai vers la feuille. Pourtant...Non, rien ne changerait. Malgré moi, les engrenages de mon esprit se mettaient en branle, s'accélèraient de plus en plus vite, de plus en plus fort. Non, c'était une idée stupide...Sérieusement ? Qu'est ce qui changerait cette fois ? Rien. Absolument rien. Mais..après tout...pourquoi pas ? Lentement, je me fis un pas vers ma feuille. Elle m'attendait, calmement étendue sur mon bureau. Elle souriait, m'invitant tranquillement à la rejoindre. D'une main tremblante, je saisis le dossier de ma chaise et la ramenai en face d'elle. Je la fixai quelques instants. Son sourire ne diminua pas. Je m'assis. Elle retint son souffle. Je la regardai. D'une main ferme, je pris mon crayon." Tu as fais le bon choix".
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Un sang d'encre
General Fiction"Je soupirai et me pris la tête entre les mains. Autant abandonner. Cela ne servait à rien. Je m'installai plus profondément au fond de mon siège et fixai la feuille blanche face à moi. Vide. Rien du tout. Vide de mot. Vide de sens. Vide, vide et en...