L'infirmière qui se tenait face à elle avait les traits de sa jeunesse. Dans ses pommettes rosées et bombées, et ses lèvres charnues, Lisa avait l'impression de se tenir face à elle-même, à peu près soixante-douze ans auparavant.
« Madame, n'y a-t-il rien dont vous vous souveniez ? Racontez-moi un moment, n'importe lequel, qui vous revient à l'esprit, dit la jeune interne.
Lisa regarde l'infirmière d'un air grave. Cela faisait quelques semaines que les médecins étaient unanimes sur son diagnostic : il s'agissait de cette triste maladie, qui ôte tout souvenir de l'esprit. Au haut de ses quatre-vingt quinze ans, Elisabeth avait vécu beaucoup de choses, cela ne faisait nul doute. Mais il n'y avait plus aucun moyen pour elle de reconnaître les personnes avec qui elle avait partagé toutes ces années, ceux qu'elle avait porté dans son propre corps, et à qui elle avait donné la vie. Lorsque ceux-ci venaient lui rendre visite, elle poussait de grands cris, et appelait à l'aide. Des étrangers entraient dans sa chambre. Elle en était effrayée.
- Lisa, répondez moi... dîtes quelque chose...
- Je ne m'appelle pas Lisa, madame.
-Oui, je sais bien, sur votre fiche médicale, votre nom de naissance est Elisabeth. Il me semble que vous vous faîtes appeler Lisa depuis bien des années, selon votre fils. Mais si vous préférez, je peux vous appeler Elisabeth. C'est un nom de reine. Cela vous va bien, madame Matteotti.
-C'était ma mère qui m'appelait Lisa.
-Vous vous souvenez donc de votre mère ?
-Comment l'oublier. Elle est décédée désormais, mais pas dans mes pensées. Il ne s'est pas passé un jour depuis sa mort, sans que je ne pense à elle. Avez-vous perdu un parent, mademoiselle?
-J'ai la chance de les avoir encore tous les deux.
-Vous verrez.
-Voulez-vous me parler d'elle?
-Cela sera pénible à entendre, je le crains.
-Je vous écoute.
- Je ne m'appelle pas Elisabeth. Je ne m'appelle pas Lisa. Je m'appelle Effy. Mademoiselle, si ma mère est décédée, c'est par ma faute. Je l'ai conduite jusqu'à là. Chaque jour, je lui faisais porter un chagrin d'un poids si lourd, qu'un jour, cela l'a écrasée. J'avais vingt trois ans, lorsque cela est arrivé. Aujourd'hui, je ne suis pas capable de vous dire en quel année nous sommes, ni quel âge j'ai. Car mon coeur s'est stoppé, ce jour là. Mais je pense que Dieu, de là où il est, a voulu me punir en ajoutant des années à ma peine. Et me faire revivre à chaque instant, dans ma mémoire, ces instants de cauchemar.
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æternam
General FictionAtteinte d'Alzheimer et incapable de reconnaître sa propre famille, Lisa va se livrer à son infirmière, et remonter des années en arrière. La seule chose dont elle puisse encore se souvenir, c'est son amour de jeunesse, qui a mené sa propre mère au...