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    La routine était un tue-l'amour disait-on. Elle suspendait l'excitation des débuts pour la trancher net et en extraire la racine. D'ordinaire, on finissait soi-même le travail en jetant les restes par la fenêtre, sans états d'âme. Pourtant, il y avait bien une personne qui accueillait son quotidien inlassablement répétitif à bras ouverts. C'était Amir qui l'aimait tant et si bien qu'il chérissait ces journées inscrites comme sur du papier à musique. Ce rythme était aussi mélodieux qu'une percussion à son oreille, clair, précis et limpide.

Mélomane dans l'âme mais également à l'esprit matheux, il se plaisait à comparer sa vie à une simple addition qui en disait long sur son cheminement de pensée. 1+1=2, murmurait-il comme un mantra à chaque début de journée, plus par conviction que pour se rassurer de la stabilité de la vie. Il s'accrochait à ses habitudes comme il avait foi en son calcul; les mathématiques ne pouvaient être fausses qu'aux conditions de mal les exécuter. Mais il ne tenait qu'à lui de recompter, il était certain que le résultat serait au rendez-vous. Aussi ponctuel que sa routine.

Amir était un doux jeune homme aux manières élégantes, à l'aube de sa jeunesse et de ses fougueuses aspirations. Il s'agissait de ce petit garçon toujours installé aux premiers rangs tant pour déchiffrer les mystères de l'univers que de suivre les courbes de la craie sur le tableau. C'était également cet adolescent à la fleur de l'âge qui se délectait d'une pomme tout en songeant futilement à la manière de défier Newton. Amir était décidément ce jeune homme qui attendait patiemment de descendre à la prochaine station de la vie afin de devenir un adulte, un vrai.

C'était enfin cette personne qui était entrée dans les rangs de l'enseignement, nourrissant ses élèves d'équations et de racines carrées. Amir était tout cela à la fois mais pas seulement, il était également un éperdu de rêverie. Le ciel semblait receler les secrets les mieux gardés et les lui confier lorsqu'on le surprenait à scruter les nuages. Sans doute se couvrait-il d'un voile de symboles déchiffrables que de lui seul. Malgré la prévisibilité de sa vie routinière, percer ses pensées s'apparentait à étancher sa soif dans un verre percé. Amir était une énigme que les équations qu'il chérissait n'auraient pu résoudre, une entité soumise à la probabilité. Tout comme à l'Amour.

L'Amour était l'essence même de son existence, l'union de ses parents pouvait en attester. Ainsi, il était naturel que le cycle se renouvelle et qu'il se mette à ardemment désirer l'être qui lui était prédestiné. Pourtant, à l'évocation de l'Amour, le miroir tendu au monde ne reflétait qu'une morosité sarcastique sous couvert de réalisme. Mais une fois rentré à l'abri chez soi, le masque se craquèle et laisse dévoiler les plus lourdes tristesses car en chaque songe se glisse ce besoin  universel, celui d'Amour.

Et c'était parce qu'Amir croyait en ce noble sentiment qui tapait à toutes portes verrouillées qu'il laissait la sienne entrouverte. Il n'y avait plus qu'à se présenter sur le perron et se laisser tenter par une visite inopportune, à l'image d'une pierre jetée dans un lac à la surface lisse. Amir était prêt à renoncer à sa vie sans vague et sans ondulation au nom de l'être élu.  Entendant sa théorie perchée, ses proches n'eurent que le rire en bouche en guise de réaction. Amir ne leur en tint pas rigueur car ils ignoraient tout, mais lui savait que perché du haut d'une branche, on y voyait bien plus clair. La vision s'agrandissait et l'horizon apparaissait comme infini.

Et la visite tant attendue approcha un jour, apportant dans la foulée un vent frais du nom de Dina. Alors son existence se parât des couleurs de l'harmonie et son 1+1= 2 murmuré au saut du lit s'avérera aussi vrai que l'amour qui unissait deux amants. Deux, l'équilibre auquel il aspirait se cristallisait enfin en ce nombre. En effet, deux unicités ne pouvaient créer qu'un équilibre parfait.

Amir et DinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant