La fin du début

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Un dimanche matin, j'étais seule dans le salon, fidèle à mes habitudes, un livre à la main. Ma mère et mon frère dormaient toujours. Je pouvais entendre le son des voitures qui passent sur l'autoroute vers une destination inconnue, les aboiements du berger allemand et du barbet noir des voisins ainsi que les claquements désagréables du système de chauffage. Absorbée par l'amour fictif entre Amanda et Dawson dans l'un des mondes romantiques de Nicholas Sparks, je ne pensais pas, ni à déjeuner, ni à m'habiller. En effet, c'était en pyjama et pantoufles que je passais la majeure partie de ma fin de semaine, utilisée par la plupart de mes camarades de classe pour se saouler et faire la fête. Souvent, j'avais l'impression d'appartenir à un univers parallèle ; je préférais n'importe quelle variété de café à l'alcool, je favorisais les études et le sport plutôt que les amis, je choisissais une soirée tranquille à écouter un film à la place d'un « party » bondé de gens, mes rêves dépassaient largement ceux de la richesse et du pouvoir, ma mère était la personne la plus importante dans ma vie, je n'avais jamais d'écarts de conduite qui mériteraient d'être racontés... Bref, à 16 ans, je semblais fuir le parcours classique des adolescents et adolescentes d'aujourd'hui.

Dix heures approchaient lorsque j'entendis ma mère se lever. Elle alla d'abord prendre une douche, puis elle descendit faire du café. La cacophonie de la machine à moudre les grains de café avait sûrement réveillé mon frère, car il descendit lui aussi quelques minutes plus tard. Je fermai mon livre pour aller rejoindre ma famille dans la salle à manger ouverte sur la cuisine où se trouvait ma mère. Mon frère parlait déjà de ses plans pour la journée ; il allait rejoindre ses amis chez Ludovic pour ensuite partir tous ensemble au centre d'achat. Bien qu'il soit plus jeune de deux ans, c'est lui qui avait la vie sociale la plus active de nous deux. Il détestait être seul, adorait être en « gang ». Ainsi, il n'était pas présent à la maison fréquemment. Maman et moi nous retrouvions alors toutes les deux soit pour aller à Tremblant ou en ville chez son amoureux, soit pour faire le ménage de la maison ou défaire des boîtes puisque nous venons juste de déménager à quelques rues à peine d'où nous restions avec mes grands-parents.

Je décidai finalement de me faire une omelette à déjeuner après que ma mère soit retournée s'arranger dans l'unique salle de bain complète de la maison au deuxième étage et que mon frère se soit installé, l'ordinateur portable sur les genoux, devant la télévision. J'avais pris la bonne habitude de me faire à manger moi-même cet été durant les vacances, mais avec les devoirs de retour et les entraînements, je manquais de temps pour cuisiner la semaine à la grande déception de ma mère qui doit maintenant faire deux repas différents pour mon frère et moi puisque je suis végétarienne. Cependant, le samedi et le dimanche j'en profitais pour améliorer mes talents culinaires quasi-inexistants. Ce matin, je réussis même à tourner les œufs frappés : une nette amélioration depuis la dernière fois. Une fois avoir englouti ma création, je m'assis de nouveau dans mon fauteuil favori pour terminer « The Best of Me ». Une larme coulait le long de ma joue alors que j'achevais les dernières lignes. Mon frère, me voyant ainsi, demanda si j'allais bien, ce qui provoqua un fou rire chez moi et mit un terme à ma mélancolie.

Aux alentours de midi, Justin partit chez Ludo, me laissant seule puisque ma mère avait déjà quitté. J'allumai la télé juste à temps pour voir la fin d'un film romantique et laisser mon côté émotionnel prendre le dessus. Alors que j'irritais mon nez avec des mouchoirs de piètre qualité, la sonnette s'activa. Je discernai une grande silhouette athlétique. En ouvrant la porte, je constatai que non seulement il était grand et musclé, mais aussi qu'il avait des yeux obscurs et de longs cils noirs. Ses cheveux bruns frisés tombaient légèrement sur ses épaules carrées. Lorsqu'il m'a souri, des fossettes ont apparues sur ses joues.

-Euh...Salut ! Je suis désolé de te déranger, mais ma petite sœur s'est fait mal en vélo et je me demandais si tu avais des pansements, dit-il d'une voix de baryton.

Ce n'est que lorsqu'il mentionna sa petite sœur que je remarquai une petite brunette cachée derrière lui. Ses yeux étaient rougis par les pleurs. Je les fis entrer immédiatement et j'allai chercher la trousse de premiers soins. Alors que le bel inconnu s'apprêtait à nettoyer l'éraflure sur le genou de sa petite sœur avec un tampon antiseptique, elle se mît à gigoter.

-Je ne veux pas, ça va faire bobo, s'objecta-t-elle.

Son grand frère tenta en vain de la convaincre ; elle commença même à pleurnicher. Pour la calmer, j'allai chercher un cornet de crème glacée dans le congélateur. Elle était totalement absorbée par la gâterie, ce qui nous permit de désinfecter et bander son écorchure. Le temps qu'elle finisse sa sucrerie, son frère et moi avions pu échanger quelques mots. Il s'appelait Thomas, avait 17 ans et, malheureusement, c'était un joueur de hockey. Peut-être que ce n'est qu'un préjugé, mais ordinairement ils sont très prétentieux. Sa petite sœur s'appelait Meredith et elle avait six ans. Ils habitaient à quelques minutes de chez moi, pourtant, je ne les avais jamais croisés ; il est vrai que j'ai aménagé depuis peu. Ce n'est que quelques minutes après qu'ils soient partis que je réalisai ma tenue vestimentaire qui était toujours, à ma grande honte, des shorts blanc imprimés de moutons roses avec les pantoufles assorties ainsi qu'un chandail jaune délavé de coton dont j'avais hérité à l'une de mes courses. Mes cheveux n'étaient pas peignés et évidemment, je n'étais pas maquillée ; quoique je ne le suis jamais, et mon nez était rouge comme Rudolph. J'ai toujours eu un don pour les premières impressions ! Cela ne m'importait peu de toute façon, il n'allait tout de même pas devenir une partie intégrante de ma vie en une seule visite. Et c'est là que je me trompais complètement.

Le lendemain, j'avais école. J'arrivai au son de la cloche, fidèle à ma routine. L'avant-midi semblait interminable : cours de physique où le son de la voix de mon enseignant m'endormait, mathématique qui nécessitait une concentration exténuante, classe de français dans laquelle nous écoutâmes Mme Dussault pendant 55minutes et enfin, une leçon d'anglais qui m'ennuyait grâce à des notions du primaire déjà maîtrisées. Le dîner fût toutefois plus agréable ; une camarade avait profité du congé pour préparer des petits gâteaux qu'elle distribua aux gens à notre table. Je conservai le mien afin de le manger après mon entraînement. Vers une heure moins le quart, je me dirigeai vers l'autobus qui me conduisait à la piscine. Là-bas, Anne, notre entraîneuse, attendait le groupe tout en écrivant la pratique au tableau. Elle nous avait avisés le vendredi précédent que la semaine qui suivrait serait mortelle. Nous étions donc tous et toutes préparés à souffrir. D'ailleurs, le mot du jour qu'elle écrit au tableau à chaque entraînement était « souffrance ». Les garçons du groupe manifestèrent leur mécontentement. Ils le font à chaque pratique, sans vouloir vexer Anne ou quoi que se soit, uniquement pour faire leur fanfaron. Ils adoraient cela, faire rire les gens, et leurs plaintes réussissaient avec grand succès ; souvent, même Anne riait. Cependant, cette fois-ci, elle ne trouva pas leurs remarques très drôles. Ce ne fut pas long que les garçons furent dans l'eau.

Effectivement, la pratique fut pénible. Mais, c'était le genre de « pénible » qui faisait du bien. Celui qui te donne le sentiment d'avoir accompli quelque chose, d'être parvenu à quelque chose, d'avoir tout donné. Celui qui met un sourire sur ton visage durant des heures, voire même des jours dans mon cas. C'en était un qui ne se présentait pas souvent et qui était difficile à trouver, à croire qu'il était timide. C'était le genre de « pénible » que je préférais.

C'était lundi, la première journée de la semaine, quoique certains s'opposeraient à cette affirmation en défendant le dimanche comme étant venu d'abord, ce qui pour moi ne fait aucun sens puisque le dimanche fut créer pour reposer nos esprits du va-et-viens qui recommence le lendemain, lundi. Bref, c'était lundi et la semaine s'annonçait merveilleuse. Le lundi a, selon moi, le pouvoir de décider du déroulement des sept jours suivants. C'est ce qu'il gagne comme avantage pour être le premier. Dans ce cas ci, il eût raison; la semaine fut fantastique, mais c'était malheureusement la dernière qui le serait avant une éternité. Sauf que cela, uniquement le lundi le savait à l'époque.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 03, 2014 ⏰

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