Triste Mœurs

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6 :57

Je prends le métro, il me reste 3 minutes pour arriver au bureau.

Sifflement

Ah oui c’est vrai ! Où avais-je la tête ce matin ? J’ai mis une jupe.  Je garde le silence et baisse les yeux. Pas de temps à perdre, je suis en retard.

 Je compte les secondes qui me séparent encore de mon travail. Le trajet me semble si long. Les secondes semblent s’écouler au ralenti, comme si le temps, dans son plaisir sadique voulait faire durer le supplice. Je balaye la rame du regard. Silence. Regards gênés. Tu m’étonnes ! Plus de la moitié des passagers sont des femmes (remarquez le sexisme de la situation : les femmes prennent les transports en commun alors que les hommes conduisent leur voiture !), pas une n’a réagi. Pas une ! 

6 :58

Driiiing Driiiing

Soupir

Ma mère. Je fête le nouvel an demain soir chez des amies. Il y aura de l’alcool, beaucoup de monde… Enfin vous voyez bien quoi. Une soirée du nouvel an quand on a 26 ans…. Je ne repasse pas chez moi avant d’y aller, je me préparerai chez une copine, en ville, c’est plus proche et plus pratique. 

« Allo ? Ma chérie ? Je suis désolée de te déranger c’est juste pour te rappeler…. Ne bois pas trop tu sais, c’est important ! Les filles se font violer, il faut être prudente et faire trèèès attention ! S’il y a le moindre problème appelle nous, on vient te chercher immédiatement ! -interruption de mon frère inintelligible- Toi aussi tu as intérêt à faire attention hein ! Pas d’accident de voiture hein ! Tu m’entends ? Bon je te laisse, n’oubli pas de m’envoyer un message quand tu es sur place. Je t’aime ! »

Re soupir…. Texto rapide pour la rassurer : « Oui je vais faire trèèès attention, oui je suis prudente ne te fais pas de soucis pour moi. Sois sans craintes, je t’aime. Bisous à + »

Je sais qu’elle est adorable de s’inquiéter ainsi pour moi mais je ne peux m’empêcher de grincer des dents. « Les filles se font violer ?» Sérieusement ?  Vous voyez ce genre de situation ? Le sexisme quotidien. Celui qui est implanté dans les mœurs. Oui celui des mœurs. Mais moi aussi je peux avoir un accident de voiture ! Moi aussi je conduis ! 

6 :59

Je sors du métro au pas de course. Pas même le temps de humer l’air pollué et rassis du centre-ville. Pas une grande perte. Je me précipite jusqu’à mon bureau. Immanquablement, je vais tomber mon téléphone.

« Ben alors ? Elle n’est pas très adroite la petite dame ? Elle veut peut-être de l’aide ? »

Je ne réponds rien, je n’ai pas le temps, je m’en vais, la tête basse.

Vite, vite, vite.

7 :00

Je passe mon badge. Ouf, à l’heure ! 

7 :01

Je monte dans l’agenceur. Un homme du bureau d’a coté monte. L’ascenseur se ferme. Galant, il me demande à quel étage je vais. Sans répondre j’appui sur le numéro deux. Mouvement de recul. Je lui demande quel est son étage. Perplexe. Il bafouille et me répond poliment le numéro trois. Le pauvre, je l’ai traumatisé, il n’a pas pu faire son petit geste galant. Ben tant pis ! Il apprendra qu’une femme aussi peut être poli et appuyer sur un bouton d’ascenseur ! Et j’appuie sur le trois. 

Silence pesant jusqu’à ce que les portes s’ouvrent à nouveau.

Ding !

Je sors enfin de cette cabine oppressante. 

7 :02

J’entonne un bonjour joyeux à la cantonade. Tient donc ! On pourrai croire que je ne suis pas la seule à avoir du mal à me réveiller ! Je pose en fracas mes affaires sur mon bureau et ouvre mon Pc, le tout dans un boucan monstre. Chuuut ! Rire de ma voisine. « Sois donc plus délicate m’ordonne-t-elle d’une voie moqueuse. ». Je rigole mais en réalité je n’ai pas la moindre envie de rire. Comme chaque matin, je balaye la salle d’un œil attristé. Moins de 5% des personnes de cet open-space sont des femmes. Affligeant. 

7 :05

Je m’empresse de rejoindre mon supérieur. Ce denier m’annonce alors qu’en tant que militant et membre essentiel de cette société, je vais recevoir une mission de la plus haute importance dans les prochaines heures, il faut que je me tienne prêt, enfin, prête à être convoquée à n’importe quel instant. Il ajoute avec un petit sourire, « Alors contente ? » 

Je ne peux m’empêcher de lui réponde « Je vous remercie, en tant que militantE et menbrE essentielLE de cette société, je suis satisfaite de vous voir accéder à ma demande. En effet, cela fait 6 mois que j’attend ce poste mais il y avait toujours plus urgent ! Je refuse cependant le poste car je refuse d’être une solution de secours. Donc non, je ne suis pas contente. Si vous souhaitez que je prenne part à ce projet, je serai ravie d’en prendre la direction. »

Devant son air incrédule je lui décroche mon plus beau sourire et retourne m’assoir en lui tendant ma carte sur laquelle est inscrite mon adresse professionnelle. Juste avant de fermer la porte avec ma délicatesse habituelle, je n’oublie pas de lui rappeler qu’ils ne doivent pas hésiter à me contacter s’il s’avère qu’ils ont besoin d’une main de fer pour prendre en main ce projet et en faire un succès.  

Je sais pertinemment que leur projet est en chute libre. Projet dont je suis à l’origine mais qui était « bien trop important pour être confié à une débutante ». Débutante qui avait à ce moment là plus de 6 mois d’expérience. Le projet a été confié à un stagiaire. 

9 :02

Pause-café.

« Bientôt fini de parler les filles ?»

Non, je n’ai pas du tout fini de parler.  Je ne peux m’empêcher de rétorquer : « Bientôt fini d’être con ? » , enfin très très bas.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 24, 2020 ⏰

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