Sa voix était réfugiée dans les cordes subjacentes du hardingfele tel un écho sans fin. De l'aube au crépuscule, sa main était condamnée à frotter l'archet contre les cordes résonnantes. Ce talent exceptionnel que le nixe détenait le mettait dans un désespoir insondable.
Cela l'avait poussé à enseigner son savoir à chaque mortel qui lui offrirait un bétail délectable. Il voulait simplement se sentir utile, seulement sortir de cet abysse dans lequel il était plongé, il ne souhaitait rien d'autre.
En revanche, il était obnubilé par la tâche de rendre ses élèves des violonistes exceptionnels. Il exigeait à ce que les arbres dansent et les chutes d'eau cessent lorsque ses élèves manieront leur archet à la perfection.La chose qui le décevait alors, fut leur incapacité à atteindre l'excellence.
Les mortels n'étaient pas dignes de manier l'archet, cela parût comme une évidence pour lui.Cette histoire s'était déroulé dans les entrailles de la forêt, au long d'une rivière rocheuse où jaillissait des cascades d'eau.
La mélodie nocturne des cigales se mêlait à celle de l'instrument à cordes. Celui-ci appartenait au nymphe aux longs cheveux de jais. Dans la clarté de la lune, l'homme s'était placé à son aise sur l'un des nombreux rochers et avait pris le violon au bras. Autour de lui, les feuilles d'une myriade d'arbres frémissaient à la brise de la nuit.Cependant, l'archet fut posé sur la pierre et les oreilles en pointe du nixe se tendirent.
Une brindille piétinée avait trahi la présence d'un mortel derrière les arbrisseaux sauvages. C'était toujours ainsi avec les humains...
Depuis toujours, ils étaient dotés de cette indiscrétion incomparable.
Attentif au moindre mouvement, les yeux du nixe restèrent fixés sur les buissons, où se dissimulaient sans grand doute deux présences, dont l'une s'agissant d'un animal.Il sut que ce mortel était venu pour son apprentissage... Si tel était le cas, pourquoi se cachait-il? Il avait conscience que les humains aimaient créer des calomnies qu'il ignorait alors jusque-là, mais si cela amenait de la crainte à son égard...
Cela n'aboutirait à rien de chercher à comprendre.Le feuillage vert impérial des arbrisseaux se mit alors à se ballotter et un œil à l'iris bleuâtre se posa avec hésitation sur le nymphe.
Celui-ci, considérant l'agissement du mortel bien puéril, commença à perdre patience. Quand allait-il sortir de sa soi-disant cachette?Les sourcils de l'homme se haussèrent à peine, surpris. Les buissons sauvages laissèrent découvrir une touffe de cheveux blonds, puis un adolescent aux gestes maladroits.
Laissant l'animal dans la verdure, celui-ci traversa la rivière à grandes enjambées en direction du nixe. L'homme l'attendit donc sur le rocher, les bras croisés. Il eut ce sentiment saugrenu à la vue du garçon, un sentiment qui fut bien difficile à décrire...
Le bas et la tunique trempés, l'adolescent finit par pousser un soupir, arrivé sur place, et semblait s'assurer que son fourreau ne s'était pas détaché de sa ceinture. Se tournant vers l'esprit d'eau qui restait là à attendre, il se sentit immédiatement intimidé face à lui.
Un sourire amusé lui étira alors les lèvres face au gamin très mal à l'aise, était-il toujours ainsi?Le garçon finit par prendre la parole lorsque la bête vint à ses côtés, poussant un bêlement idiot.
-Bonjour... Puis il hésita, poursuivant dans le doute, je vous ai apporté le bétail de mes parents...L'homme le fixa intensément de ses yeux noirs, puis lui revint ce sentiment trouble qui le dérangea particulièrement.
Sans un mot, il fit venir la bête et sa main vint caresser son pelage avec lenteur. Malheureusement pour le garçon, elle n'a pas su le convaincre : Sa peau était sur les os.Le nixe saisit alors son hardingfele jusque-là posé sur le rocher et se tourna vers l'apprenti : Ils allaient commencer. Celui-ci devenu attentif, il lui enseigna la manière d'accorder les huit cordes de l'instrument et ce, dans le plus grand des silences.
Il avait conscience que l'adolescent connaissait les rumeurs concernant son incapacité de parole, parce qu'aucune question ne lui a été posée à ce propos.Au milieu de la nuit, après plusieurs heures écoulées, le nixe termina l'apprentissage des accords. Le blond fut alors parti en direction des ténèbres, sans un remerciement, comme si rien n'était. Il faisait preuve d'une grande ingratitude.
Il s'agissait de ce genre de personnes que l'homme appréciait le moins.Et pourtant, l'esprit d'eau ne put s'empêcher de songer à l'adolescent et ce, jusqu'au lever du soleil. Ce gamin lui tourmentait les pensées.
La silhouette du garçon et son allure maladroite réapparurent après plusieurs nuits passées. Il fut cette fois-ci aux côtés d'une chèvre beaucoup plus délicieuse à voir.
Le violoniste, le sourire aux lèvres, lui fit directement signe de s'approcher, le violon en main et ce, toujours sans aucun mot. Il sût déjà qu'il allait lui offrir un apprentissage plus poussé.
Il avait réellement hâte de savoir si ce garçon était capable de faire danser les esprits nocturnes.Alors, le blond prit place à ses côtés, beaucoup plus confiant qu'auparavant, laissant la bête paître l'herbe.
Le souffle du nymphe se coupa à sa présence à ses côtés. Ses émotions se bousculèrent dans un chaos indescriptible.Il ne voulait pas le réaliser, mais c'était véridique: Il avait un amour soudain pour l'adolescent.
Il lui apprit alors à laisser frotter l'archet et à connaître ses cordes, il eut de plus en plus d'exigences, tout alla de plus en plus vite. Le garçon commença à ressentir une douleur atroce au niveau de sa main, elle n'arriva plus à suivre le rythme imposé. La panique vint à lui et lorsqu'il lui supplia de ralentir, les remords vinrent ronger le violoniste.
La main ensanglantée de l'adolescent fut finalement relâchée.Le blessé fut attiré dans les bras du nixe. Celui-ci voulut tant s'excuser, mais sa voix restait coincée dans sa gorge, une sensation qui le rendit fou.
Une terrible souffrance lui déchira l'abdomen et du sang sortit d'entre ses lèvres. L'homme poussa une plainte inarticulée de douleur et d'exclamation avant de se crisper. Il essaya de comprendre le pourquoi du comment et ravala difficilement sa salive, les yeux écarquillés.
Puis, il réalisa.
L'épée lui avait transpercé le ventre, la fusée fermement tenue par l'adolescent. Il l'avait gardé depuis tout ce temps dans son fourreau.
Les larmes lui venant sous la douleur et le désespoir, l'amoureux s'écroula sur le rocher où ils étaient. Sa respiration devint irrégulière.
« Pourquoi ? » Lui aurait-il demandé, mais la malédiction prit le dessus malicieusement.
-Les gars ! Cria soudainement le meurtrier avec joie, se levant, avant de poursuivre avec fierté, j'ai tué l'mec, j'vous l'ai dit que j'tais cap !
Le regard sombre, et le cœur brisé en mille morceaux, le nixe ne put qu'observer l'adolescent l'abandonner avec impuissance. Rejoignant son groupe de garçons, ils semblèrent heureux de le voir périr, tous avec une main en moins. L'eau commençait à se teinter peu à peu d'une couleur rougeâtre autour de l'homme.
Malheureusement pour eux, Fossegrim n'était pas mortel.
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Le sinistre
FantasyLes cordes faisaient danser sa flamme dans l'harmonie, constamment, jusqu'à sa mort.