Abbadon

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Il s'appelait Abbadon. Abbadon le destructeur. Il avait la particularité propre de faire naître des maladies incurables chez les hôtes qu'il côtoyait. Mais ça n'avait pas toujours été ainsi, il avait eu, autrefois, une vie paisible. Il venait de l'Ouest, proche des terres de Khartel-Ianus. Ce médecin de renom avait eu une place de choix dans la société mondaine jusqu'à ce jour. Il avait passé les trois quarts de son existence à sauver des vies et voilà que l'ironie du sort le condamnait à mourir.

Son confrère tenta de le rassurer une nouvelle fois mais, il n'y avait rien à faire. Il était condamné et le choc qui le submergeait littéralement était bien trop important pour qu'il soit lucide en cet instant. Pourtant, son ami ne cessait d'insister : «Je suis désolé, même avec un traitement agressif, tu ne gagneras que quelques mois. On peut toujours... ». Mais il ne l'écoutait plus. Pourquoi lui ? N'avait-il pas assez sauvé de vie ? N'avait-il pas assez donné de sa personne ? Complètement ébranlé par cette terrible nouvelle, il se sentit mourir à petit feu. Mourir d'une tristesse infinie. Tout était différent à présent. Il était passé de l'autre côté. Alors que les larmes inondaient son visage, il pensa à son épouse et à son fils, aux instants qu'il ne pourrait plus partager avec eux et s'effondra sur le fauteuil, désemparé. Plus rien serait comme avant. Son confrère ajouta :

- Abbadon, je sais que cette épreuve va être difficile et...

- Il suffit. Le coupa-t-il sèchement.

Et alors qu'il se levait pour partir, son confrère lui sera la main. Une chose étrange se produisit alors. Le visage de son ami se creusa brusquement. Ses cheveux tombèrent au sol comme des fleurs fanées. Des cernes et des rides creusèrent ses yeux exorbités par une frayeur sans nom. Et tandis qu'il échangeait sa vie ébréchée avec celle de son confère, Abbadon se sentit renaître. Il serra cette main salutaire encore plus fort. Il ne devait rien rester de lui, il ne devait rien garder de cette chose monstrueuse qui était née en lui. Exsangue, son confrère s'écrasa sur le sol en convulsant. Il ne put détacher son regard de ce corps maladif, difforme et squelettique, qui aurait pu être le sien. Il resta là, abruti par ce spectacle macabre durant de longues de minutes.

Lui avait-on finalement accordé une dernière chance ? Ses prières avaient-elles été entendues ?

Alors qu'il quittait les lieux de manière précipitée, il sut au fond de lui que rien n'était gagné d'avance. Cet état était temporaire, rien de cette chienne de vie ne lui serait épargné, il le savait.

Les années s'écoulèrent, des années tristes et froides. Dès que la maladie refaisait surface, il ne pouvait s'empêcher de lutter. La culpabilité s'effaça avec le temps et un vide sans fond le rongea de l'intérieur. Il comprit très vite que sa capacité à répandre des maladies ne se limitait pas à son mal mais à toutes les maladies qu'il avait pu côtoyer durant son service.

Lorsque la guerre éclata, il s'enrôla avec l'extrême conviction qu'il pourrait sauver des vies et se sauver lui-même au détour d'un affrontement avec l'ennemi. Mais tout ne se passa pas comme prévu. L'omniprésence de la mort engendra une mutation étrange de sa « capacité ». Désormais, seule sa présence suffisait à répandre des maladies autour de lui. C'est ainsi qu'une peste terrible ravagea l'intégralité de son régiment.

Il resta sans voix face aux cadavres qui s'empilaient couverts de ganglions lymphatiques. Il s'assit devant sa tente et continua de regarder ces corps, aux positions étranges, qui gisaient un peu partout sur le campement. Leurs visages étaient cireux, leurs teints jaunâtres tiraient par endroit vers le violet. Certains avaient les yeux ouverts et semblaient regarder le ciel avec terreur. Leurs corps osseux étaient parcourus de pustules boursoufflées, certains bubons avaient même éclaté par endroit. Le silence de plomb qui régnait autour de lui était insoutenable. Il se releva, dépité, lorsque son regard se posa sur un cadavre dont les membres étaient gangrénés. Une mouche rouge venait de se poser sur un bout de chair noirâtre et semblait pondre dans la plaie. Un phénomène curieux qui le fit sourire inconsciemment. 

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