Episode 0 : "Café" [Prologue]

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Une agréable sensation, chaude, douce, comme dans un cocon. Plongé dans le noir de mes paupières, je dormais comme une masse, aucun de mes colocataires ne faisaient de bruit, il y avait juste ce silence, ce noir, cette chaleur. Et puis, un son perça le silence.

Une sonnerie calme mais désagréable vint rompre mon sommeil déjà léger, mon téléphone qui faisait présentement office de réveil avait donné l'alerte. Soucieux de n'éveiller personne, je coupai l'engin du diable avant de m'étirer longuement dans les draps. Je somnolai quelques secondes, fixant les barreaux du sommier du lit au-dessus de ma tête. Mon poing frotta mon oeil droit, suite à quoi j'ouvris les draps délicatement, m'asseyant au bord du lit. Un bâillement discret et j'étais parti pour la journée.

Toujours aussi tranquillement, j'ouvris ma commode pour y sortir mes affaires de la journée qui s'annonçait couverte mais assez chaude : un jean légèrement large et foncé, et un t-shirt noir des plus simples. Je me glissai dans la douche pour me laver et démêler mes cheveux - c'était un entretien considérable si on ne voulait pas avoir une tête de fou - puis sortit de la chambre sans un bruit.

D'un pas léger, je dévalais les escaliers en jetant un coup d'oeil à ma montre. J'étais en avance, parfait, j'allais en profiter pour boire un petit café puisque le commerce était ouvert - c'était une coutume que j'avais lorsque j'habitais en France et que j'avais presque perdu. Une fois le rez de chaussée atteint, je m'assis tout sourire à l'une des tables tandis que, dans le fond, la seule chose constructive que la serveuse avait à faire était d'essuyer un verre visiblement déjà propre. 

"Un café bien sucré s'il vous plaît" fis-je d'une voix frêle.

Sans un mot, elle se tourna vers sa machine, grommelante. Elle ne devait pas être du matin, voilà tout. Je la remerciai toutefois lorsqu'elle déposa la tasse devant moi, et profitai de l'ambiance solennelle. Le lieu était vide ou presque, il n'y avait pas de cohue, le silence était à peine rompu par le bruit d'une tasse qui au loin se posait sur sa petite assiette. Je humai l'odeur du café, faisant courir mes yeux dans l'horizon. Je ne regardais rien en particulier, je ne pensais à personne, je me délectais juste de l'instant. Il était d'autant plus magique que j'étais à moitié endormi. Voyant la boisson fumer, je me retins d'en boire une gorgée et préférai sortir de mon sac un carnet de croquis et ma trousse.

D'abord, des traits de construction. Une ligne courbe séparant à peu près le quart inférieur droit de la feuille, un trait surmonté d'un cercle sur cette même ligne, quelques formes ovales irrégulières en fond. Je détaillai d'abord le fameux quart de la feuille, ajoutant de la profondeur à la forme, un aspect, corrigeant les erreurs. Oui, c'était cela, un bout de colline qui laissait deviner sa taille gigantesque plus loin, derrière la limite de la feuille. Désormais, je m'occupai du trait surmonté d'un cercle. Même procédure, en quelques traits une robe légère et de longs cheveux s'étaient formés sur la jeune fille qui se tenait là, fixant les nuages que j'allais créer par des ombrages au crayon. Mais je n'allais pas réussir à finir tout cela assez vite, pas avant le début de cours.

C'est alors que j'entendis la porte dans mon dos s'ouvrir. Machinalement, je me tournai vers l'entrée. Tout d'abord, une faille libéra une lumière un tantinet aveuglante, puis une silhouette passa au travers de celle-ci. Une silhouette féminine, mince, c'était cela.

"Salut" lançai-je par réflexe.

J'étais trop appliquée sur ma feuille pour m'attarder sur la jeune femme qui venait d'entrer. Un peu d'égocentrisme peut être ? Non, sans doute de la maladresse plutôt, le fait que le monde autour de moi s'évaporait lorsque je pratiquais ma passion. C'était ça, ma vie gravitait autour de l'art et de ma mère. Je ne vivais pas pour moi, je ne vivais pas pour mon défunt père, on ne vit pas pour les défunts. Dans les films, ils disent toujours ça : "Tu ne crois pas qu'untel aimerait que tu restes en vie ?" Non, je ne crois pas, quand on est mort, j'imagine qu'il ne nous reste que de la solitude, du noir, comme lorsque l'on rêve. Peut être même qu'on est emprisonné dans ses chairs purulentes, si on écoute la science. Alors les histoires d'âme qui s'envole dans les cieux pour bien gentiment nous observer, à d'autres. Je n'y croyais pas, je n'y avais jamais crus et même, je n'y avais peut être pas pensé, réfléchi. On ne se met pas à la place des défunts, la plaie est si profonde, si béante, on ne peut que s'enfermer dans son malheur, à vouloir oublier, à vouloir effacer les cicatrices que les autres ne voient pas. Et puis ...

"Bonjour, puis-je m'asseoir ?"

Une voix de femme. Me tirant de mes songes, je levai les yeux vers elle. Je tombai nez à nez avec une dame, une professeure. Je ne m'y attendais pas de si bon matin, en principe si ils se lèvent en avance, ils préfèrent préparer leurs cours, réviser leurs emplois du temps, ... Mais alors, cela voulait-il dire qu'elle était si organisée qu'elle avait déjà tout prévu ? Peut-on prévoir un réveil si matinal ? Peut-on être tant cruel avec soi-même ? Mes joues s'empourprèrent et mon regard jongla entre ses yeux et ma feuille - bien que j'ai arrêté de dessiner.

"B-Bien sûr, je vous en prie ..."

Préoccupé de lui laisser toute la place qu'elle avait besoin, je rassemblai mes choses et les rangeai expressément dans mon sac avant de tirer la tasse de café vers moi. Presque sous mon visage, j'en humai l'odeur fine et amer, le doux et chaud filet qui s'échappait du récipient, j'eus très envie de le boire là, d'une traite, mais je me contins. Déjà, c'était brûlant, et puis je ne voulais pas me ridiculiser devant la professeure.

"Je ne voudrais pas vous déranger" ajouta-t-elle avec un sourire.

Elle était des plus polies et agréable, jolie qui plus est. Elle devait s'être un peu dépêchée en s'habillant puisque les couleurs ne s'accordaient pas tant, mais elle avait un visage si fin et son corps était si bien proportionné que ça ne faisait pas tâche. Ses petits yeux taillés en amande me regardaient d'un air rieur, bien que ses traits tirés laissaient deviner une nuit qui n'était pas assez longue pour elle. Pour se réveiller tôt et en forme, il faut prendre l'habitude de se coucher avec les poules. Je n'en avais pas toujours le loisir avec mes colocataires, mais en principe j'étais le premier au lit ... quitte à paraître ridicule.

La peau laiteuse de la jeune femme était dénuée d'imperfections, ses lèvres pulpeuses et rosées étaient somptueuses, et la grâce qui émanait d'elle en imposait beaucoup. J'étais intimidé par cette jeune femme, terriblement intimidé. Elle était si mystérieuse, d'autant plus que je ne l'avais pas en cours. Je souris tant bien que mal, à demi apeuré, puis lui répondis.

"V-vous ne me dérangez pas du tout ..."

Un sourire franc, et je bus une gorgée de la tasse de café. Pile comme je les aime : l'amertume de la boisson cassée par des kilogrammes de sucre, il n'y avait que comme ça que je le buvais. Paradoxal direz-vous, de boire du café quand on en déteste l'amertume ...

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