Taehyung ne peut réprimer un énième bâillement. Le repas dure depuis de longues heures. Pour une raison qui lui échappe à ce moment là, la cérémonie a lieu après le repas, après le bal. Ah si ! Il se rappelle. Petite mairie, petit village, petit mariage. Qu'importe l'ordre après tout, il faut juste se marier. Il a tenté de participer aux discussions, de s'intéresser aux conversations plus superficielles les unes que les autres. Le fils du cousin du mari de... peu importe, à qui il est arrivé... quelque chose de très peu intéressant. Mais il a perfectionné au fil des heures sa moue très concernée. Plisser les yeux, froncer les sourcils, hocher la tête.
Malgré tous ses efforts, il s'ennuie. Il s'est d'ailleurs très rarement autant ennuyé. Entre deux réponses évasives, il finit son verre. Tout est prétexte à discuter. Pourquoi personne n'aime le silence ? Il se tait, lui. Il se contente d'écouter d'une oreille, de sourire.
Le regard dans le vide, il finit par décrocher de toutes ces conversations qui lui semblent bien futiles. Ses yeux, puis ses mains s'attardent un peu trop longtemps sur la bouteille de champagne posée sur la table. Une coupe. Il n'y a pas à dire, Jacques est bien plus drôle à entendre. Deux coupes. Il se met à discuter avec un des enfants qui meurt également d'ennui. Ils se comprennent plutôt bien en fait. Trois coupes. Les histoires de mamie Jeannette deviennent moins répétitives peu à peu... Quatre coupes.Le dessert arrive alors qu'il commence presque à s'amuser. Il discute avec sa voisine.Il est persuadé de la connaître, et pourtant, incapable de lui donner un nom. En tous cas, il rit aux éclats. Il renverse le fond de son verre sur la table. Son rire s'amplifie alors qu'il essaie de camoufler sa bêtise. Il retourne la tête vers son assiette. Regarde son verre. Fronce les sourcils. Et le remplit à nouveau. Quelqu'un l'interpelle. Il se concentre quelques instants. Il a déjà perdu le fil de l'histoire. Ses yeux se ferment plus qu'ils ne se plissent et en voulant hocher la tête elle se cogne contre sa propre main. Il ne peut s'empêcher de glousser.
Heureusement pour lui, la salle commence à s'agiter. On se lève peu à peu. Il tente de suivre le mouvement mais retombe lourdement sur sa chaise. Il regarde ses jambes, interloqué. Ses pieds bougent de droite, à gauche... droite.. gauche... Il leur fait un petit signe de main en pouffant. Leur nouvelle complicité aidant, il parvient à se mettre debout. Il faut se diriger vers une autre salle. Mais qui a eu toutes ces drôles d'idées ?
Avant de franchir la porte, Taehyung se cogne contre quelqu'un qui lui attrape les épaules alors qu'il commençait à tituber dangereusement. Le contact de ses paumes brûlantes sur ses bras le fait frissonner. Il laisse sa tête basculer en arrière et croise le regard de l'homme qui fait environ sa taille. Les deux se fendent d'un grand sourire. Des sourires pétillants. Il laisse son front tomber contre le sien en riant doucement. Taehyung lui souffle dans les cheveux et s'amuse de les voir s'envoler et retomber lentement.
- Monsieur, je crois pouvoir dire que le courant passe plutôt bien entre nous !
- Oh Monsieur, je vous trouve bien entreprenant, commencez par me dire votre nom.Pour toutes réponses, il essaie de lui faire un clin d'oeil. Le résultat est peu glorieux. Il se moque gentiment. Alors que leurs corps se balancent doucement au rythme de la musique qui résonne au loin, leurs yeux se bercent dans une houle dorée et étincelante. Taehyung se noie dans ses pupilles bouillonnantes.
- Capitaine, je crois que nous dérivons ! s'exclame-t-il joyeusement.
- Il y a de ces océans dans lesquels je me laisserais volontiers couler, vous savez mon cher, souffle-t-il dans un sourire.A ces mots, ses pommettes, déjà rosies, semblent presque scintiller. Taehyung se défait de son étreinte pour l'entraîner danser, mais trébuche.
- Je crois que vous tanguez moussaillon !
Il essaie de la rattraper, mais trébuche. Ils s'adossent tous deux contre le mur pour tenter de recouvrer leur équilibre en péril.
- A croire que la réputation des marins n'est pas tout à fait fausse, répond-il en chantonnant.
Bras dessus, bras dessous, ils chancellent ensemble jusqu'à l'immense salle où tout le monde s'était déjà installé. Il lui chuchote à l'oreille :
- La mascarade est bientôt finie, courage.
- Il va m'en falloir beaucoup. Je m'ennuie déjà !
- Dis toi que ça leur fait plaisir. Et qu'après, tu seras libre.
- Mais c'est stupide, bougonne-t-il. C'est le jour de l'amour après tout, le fameux...Pourquoi doit-il se faire devant tant de gens ? J'aime pas la foule. Je ne connais pas le tiers de ces gens. J'aime pas les longs repas. J'aime pas....
- Vous êtes grognon monsieur, le coupe-t-il. Ça ne vous va pas aussi bien que votre beau sourire. Je n'aime pas non plus, alors soyez attentif, à la moindre ouverture, je vous ferai signe pour que l'on s'enfuit ! Ah ! Les discours vont commencer, on ne peut pas se permettre de louper ce grand moment de réunion familial et d'amour voyons !