Le TRAIN

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Bon, pour le moment, j'avoue avoir plus envie de m'appeler couillon ou abruti, selon les affinités. Nous n’en sommes pas encore à connard, mais ça ne saurait tarder.

En effet, il reste encore une chance infime que cette belle bille blanche, qui tourne sans effort sur la roue de ma destinée, vienne mourir gentiment sur le numéro 12 rouge, pair et manque.

Ah le casino, les enfants, quel endroit merveilleux ! C'est quasiment un univers parallèle, où le temps est suspendu, le jour ne se lève jamais (d’ailleurs, il ne se couche pas non plus, à la réflexion), l’alcool coule à flots, et l’argent… part à flots, détail qui prendra toute son importance. Les émotions, ah les émotions de rush intense ! Un roller Coster intérieur, une montée vertigineuse qui vous laisse pantelant, dans cette infime moment où vous n’êtes plus maître de vos jeux, de votre argent, de votre vie. Les jeux sont faits. Fin. Tu as fait ton choix. Assume. C’est mieux que l’amour, que la haine, que le sexe.

Un train qui vous emporte vers no where. Première station : « t’inquiète pas, j’y vais qu’une fois ». Le train s’y arrête trop rapidement, pas assez longtemps. Juste le temps de fumer une clope sur la première marche avant que le sifflet retentisse et vous laisse avec un choix. Simple. Tu descends ou tu restes. J’y suis resté.

Le train est lancé. Le prochain arrêt, on te l’annonce bien avant, histoire que tu puisses préparer ton sac et tes affaires. On te prévient après que c’est un direct.

Le train vient de s’arrêter en gare de « Je ne peux pas payer mon loyer». Ca ne dure pas très longtemps. Pour ça, faudrait encore que j’en ai quelque chose à foutre. Ah oui ! Vous n’êtes pas au courant ? On ne peut pas virer un locataire en hiver. Et ça dure cinq beaux mois de l’année. Cool. Ca me laisse de la marge.

Le prochain arrêt a son charme également, c’est : « Il me reste dix balles. Je joue ou je mange ? ».

Une sorte de roulette russe où tu es le seul joueur, avec plus de chance de crever et qui dure plus longtemps. Nice !

Alors, il faut savoir avant tout que Connard, c'est-à-dire moi (oui, pardon, la belle bille blanche de tout à l’heure est tombée sur le 35 noir, impair et passe… Dommage !), se sustente, en ces temps glorieux, de pain trouvé (volé) à la cafète du boulot, et de dons réguliers, quoiqu’inconscients, de nourriture empruntée (volée) à mes colocataires.

On l’aura compris, les dix balles ne m’ont pas servi à payer un sandwich, et j’ai naturellement continué mon voyage dans le train de… pour… (Je ne sais pas encore, je reviens vers vous dès que possible).

J’ai continué mon voyage donc, mais pas seul, oh que non ! Entouré, que dis-je, accompagné, soutenu et même encouragé par mes copains de casino, de vraies crèmes, vraiment.

« Salut, Mr Connard, alors, t’es au dessus aujourd’hui ? ». Il faut savoir qu’un joueur, un vrai de vrai, un pur, un dur, quand il te demande si t’es au dessus, à savoir, as-tu gagné, c’est que lui OUI. Sinon il la ferme.

Naturellement, ton premier réflexe est de lui balancer ton dernier quignon de pain à la gueule, mais bon, t’as un peu faim quand même. Du coup, tu réponds avec ton sourire d’acteur de seconde main : « Bien sûr, Mr Connard N°2, et comment ?! Je vais même rentrer chez moi, enfin là où tout le monde paie sauf moi, et fêter tout ça. Allez, à demain ! »

A DEMAIN ??? Ca y est, le mot est lâché, t’es un habitué. À Présent, ce n’est pas juste toi qui sais que t’es une merde, tous les autres également. Tu perçois le regard compatissant qui se veut sincère du croupier à qui tu as lâché dans un élan de gratitude infinie la moitié de ton loyer en pourboire au cours de la soirée (ça fait beaucoup de quignons de pain), le sourire carnassier de l’hôtesse à qui t’aurais bien lâché quelque chose, voir plus, mais bon, t’as plus rien. « T’inquiète pas chérie, I’ll be back tomorow. »

Oh elle ne s’inquiète pas, elle sait. Par contre, quelque chose me dit qu’elle préférera tes jetons à ta belle personnalité, ou toute autre partie de ton anatomie.

Bref, revenons à notre petit train. Là, j’ai deux options : soit je saute en marche et je rentre à pied ; ça va être long, dur, douloureux, demander un dépassement de soi, une estime de soi, un courage démesuré, une volonté titanesque…. Hou là ! STOP. Trop compliqué. Trop chiant. Je te rappelle mon nom du moment : C.O.N.N.A.R.D. Je vais juste m’asseoir et attendre la prochaine station. Plus simple. Moins d’efforts. De toute façon, moi je vous le dis, je vais me refaire. Oui, OK, très bien… Mais comment ?

À ce moment précis, tu te souviens des gens que tu aimes, enfin qui t’aiment toi, plus facile.

C’est à cette station que l’on va rajouter un superlatif à mon joli nom : Gros.

Parce qu’à cet instant, j’embarque tout le monde dans le train. Ma Mère, mes amis, mes amours.

On va faire une pause dans le voyage vers No where et parler un peu des amours. Parce que je n’ai pas comme qui dirait la « cote ».

Faut dire que de loin, je suis le mec sensible, intelligent, drôle, charismatique et indépendant, mais que plus on se rapproche, plus l’instinct de survie de ces gens que l’on appelle « plus ou moins saints de corps et d’esprit » fait passer tous leurs voyants au rouge.

Ils sentent, Ils savent. Tu le transpires, l’air que tu respires est déjà vicié par ta propre proximité. Celui que tu expires est toxique. Il a un parfum de danger, il est presque tangible.

Heureusement pour moi, tout le monde n’a pas un odorat surdéveloppé, et beaucoup ont l’instinct de préservation d’une huître.

Ces belles personnes, les seules qui t’acceptent, faut dire ce qui est, vont gentiment ouvrir la porte, poser le pied sur la première marche de ton petit train, et ne descendront pas avant longtemps, beaucoup de pleurs et de douleurs, de peurs, mais aussi de moments inoubliables, purs dans leurs extrêmes, beaux dans leur authenticité. Mais jamais, jamais, dans leur simplicité.

Ils ont choisi de me suivre, souvent malgré eux. Trop Tard. Ils m’aiment.

Je vais vous en parler. Je leur dois bien ça, et plus encore. L’une de ces personnes est ma passion, l’autre ma salvation. L’une je l’ai aimée, l’autre utilisée. L’une m’a laissé, asséché, vidé, j’ai continué à l’aimer. L’autre m’a relevé, couvé, aimé, j’ai continué à l’utiliser.

Dix années sont passées, l’une ne fait plus partie de ma vie, l’autre est ma meilleure amie.

Si tu as bien suivi, ça ne devrait pas être trop compliqué de tirer une morale de cette histoire. On étoffera un peu plus tard dans le doute

Mr connardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant