Quelques nouvelles..

Signer

C'est un café d'habitués où tout le monde se connaît plus ou moins. Certains discutent et parfois sympathisent, d'autres ne font que contempler ce doux spectacle en silence. Je fais partie de cette deuxième catégorie : je viens ici pour observer tous ces gens que je ne connais pas, mais que je fréquente régulièrement.

Il y a ce premier personnage : un vieux monsieur d'environ 70 ans qui boit généralement son café en lisant ​L'EQUIPE ​ . Il s'assoit toujours à la même place : une table en terrasse un peu à l'écart qui laisse une vue agréable sur le monument phare de la ville : un château médiéval si ancien mais si robuste à la fois. Ses meurtrières, ses créneaux et ses pierres rouges ajoutent au paysage une véritable authenticité. Parfois, le vieil homme abandonne la lecture de son journal pour le contempler. Avec le temps, j'ai remarqué que l'homme ne vient ici qu'au soleil levant ou au soleil couchant. Et j'ai fini par en comprendre la raison lorsqu'un soir, j'avais daigné lever les yeux de mon ordinateur: le coucher de soleil sur le château et ses douves transformait le lieu et tout devenait calme, apaisant.

Puis il y a ce jeune homme qui après plusieurs mois d'absence, a remis les pieds dans ce café mais cette fois, c'est une nouvelle jeune femme qui l'accompagne. Souvent je me demande si elle est sa compagne, sa maîtresse ou sa professeure. J'aime imaginer leur relation, leur vie après ce rendez-vous habituel dans ce café.

Il y a aussi les serveurs. Ils sont les seuls personnes avec qui je prend le temps de sympathiser. Notamment une serveuse : Erinne, que je considère aujourd'hui comme une amie. Lors de ses pauses cigarettes, j'abandonne mon travail et la rejoint à l'arrière du café. S'entame alors une discussion parfois sur des sujets d'actualité, parfois sur ses histoires d'amitié ou de coeur. Erinne aime aussi me parler des clients désagréables, des touristes un peu perdus, du vendeur de roses persistant. C'est son quotidien et j'aime la regarder parler.

Et aujourd'hui, il y a eu toi. Une heure après m'être installé et m'être mis au travail, je décide de prendre une pause. Je sors du café pour laisser l'air frais me ramener à la réalité. J'observe les allers et venues de chacun: des hommes d'affaires, des lycéennes, des familles nombreuses et puis toi. Ta chemise nouée à ta taille, ta peau bronzée et ton gros sac à dos font que tu te démarques de la foule. Pressée, tu entres dans le bar-restaurant qui se trouve de l'autre côté de la rue. Puis tu t'installes à une table qui est collée à la baie vitrée. Tu sors un carnet et observes celles et ceux qui t'entourent quand soudain, nos regards se croisent. Le moment dure une éternité, mais c'est Erinne qui me sort de ma rêverie : "Tu as un moment ? C'est ma pause." Tes yeux ne sont plus fixés sur moi, alors j'accepte et je la suis à l'arrière du café.

Un quart d'heure plus tard, je me rassois à ma table. Je ne veux pas te déranger mais c'est bien trop tentant, alors je jette quelques coups d'oeil à cette table qui se trouve de l'autre côté de la rue. Tu dessines, tu es une artiste toi aussi. Vu d'ici, tes dessins sont pleins de couleurs et tu sembles rayonner. Parfois tu lèves les yeux, comme si tu avais besoin de reprendre ton souffle. Je comprend ce sentiment : être plongé dans ce projet qui nous demande tant, à qui on donne tout. Tellement qu'il faut reprendre son souffle pour garder le fil de nos idées.

Une nouvelle fois nos regards se croisent. L'effort de ton travail est tel que tes cheveux blonds sont maintenant en bataille, tes joues rougies. D'un air timide, tu me rends mon sourire. Tout à coup, tu me pointes du doigt puis me montres ton carnet. Tu répètes l'opération quelques fois et grâce à ton regard interrogateur je comprends : tu voudrais me dessiner. D'un signe de la tête j'accepte, tu me souris à nouveau et je tente tant bien que mal de retourner à mon travail. Les minutes passent et j'imagine ton regard sur moi, alors que je suis moi même plongé dans une scène de combat incroyable à travers les mots qui défilent sur mon ordinateur.