Oönskade

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Oönskade

Il n'existe pas de sentiment plus paisible qu'un chasseur attendant sa proie, complètement dissimulé du froid meurtrier sous plusieurs couvertures, le viseur pointé vers une fenêtre, se languissant d'une ombre à travers les rideaux.

C'était ce que Mattias pensait de son futur travail. Ce soir, il allait prouver qu'il en était capable. Il avait déjà su ôter la vie quand il s'était retrouvé seul à 14 ans, sans argent ni famille, dans les ruelles glaciales de Västerås. Quatre années à voler les pavillons résidentiels de la ville et à se battre fou de rage jusqu'au sang, puis, plus tard, jusqu'aux os, à la sortie des bars. L'orphelinat l'avait rejeté après qu'il eut refusé toutes les demandes d'adoption de parents recherchant un peu d'amour juvénile chez lui. De l'amour, il n'en avait plus à donner. Et à ses 18 ans, après une énième nuit de lutte sanglante, une ombre l'avait approché. Cet homme avait perçu la haine dans ses yeux, le grondement de sa rancune dans chacun de ses coups, le mal qui s'était propagé sous sa peau d'année en année. Il n'avait pas de doute, il ferait un candidat idéal.
L'homme en noir lui proposa de s'entraîner à dérober la vie, écarté du monde, afin de travailler pour lui. Tout cela à une condition : qu'il ne demanda jamais qui donnait les ordres, ni pourquoi. Cela, Mattias ne s'en préoccupait pas, si seulement on lui donnait la chance de se venger de la vie brisée qu'on lui avait imposé dès sa naissance.

C'était un 22 février, il était à l'heure pour sa dernière mission avant son engagement définitif dans cette organisation anonyme. La mission était claire, quand la cible arriverait chez elle, il aurait cinq minutes pour l'exécuter d'une balle dans le crâne, pas une seconde de plus. Mattias savait que l'organisation n'accepterait pas son échec, il serait exécuté sur-le-champ.
Maintenant qu'il avait une place dans le monde, retomber dans son ancienne vie sans avenir le faisait tout autant frissonner. Cette fois, c'était réel, cela n'avait rien à voir avec tous les enseignements qu'il avait reçus ces dernières années. L'endroit était d'un lourd silence. Mattias entendait uniquement le grincement des arbres, et l'assimilait toujours à des gémissements de douleur : des cries désespérés provoqués par le vent glacial d'un hiver balayant le reste de vie né des saisons précédentes.
Il se tenait allongé, protégé du monde extérieur sous trois épaisses couches de laines. Son fusil était en place, en direction d'un petit chalet perdue au milieu des bois. Il approcha son regard sombre de la lunette et positionna son viseur vers la fenêtre qui donnait sur un salon.
La pièce était aussi terne que l'environnement extérieur. Elle était morne, sans vie. Il s'assura que la porte d'entrée était bien dans sa ligne de mire. Il allait exécuter sa cible dès son arrivée, elle n'avait aucune chance. En attendant, il orienta son viseur sur la droite où se tenait une imposante cheminée sans feu. Tandis qu'il tournait son regard à nouveau vers la porte, il remarqua un vieux meuble usé. Tout dans cette maison indiquait une vie misérable. D'après ses informations, la cible allait rentrer d'un instant à l'autre, pourtant, il s'impatienta.
Son regard se détacha du viseur, il tourna son poignet et lu sa montre. 21h45. Elle devait être arrivée il y a trois minutes. Avant de reprendre sa surveillance, il glissa un regard à son tatouage sur son avant-bras : « Oönskade ». « Non désiré », se répéta-t-il en fixant sa large cicatrice sous l'encre, signe d'une enfance tourmentée dont il n'a aucun souvenir. Ce soir, il allait enfin donner une raison à sa solitude.

Un reflet le coupa dans ses pensées. Rapidement, il tourna son regard vers la maison et aperçu un scintillement orange depuis la fenêtre. La cheminée du salon venait d'être allumée. Cela ne signifiait qu'une chose : sa cible venait de rentrer sans qu'il s'en aperçoive. Il se maudit d'avoir gâché son coup, puis colla brusquement son œil sur son viseur, prêt à bondir sur sa proie le plus rapidement possible. Il lui restait cinq minutes, le décompte funeste avait commencé. Il reprit sa visée et son regard se porta à nouveau sur le vieux meuble qu'il avait laissé. Un éclair jailli dans ses yeux. Quelque chose venait de le bouleverser.
La photo d'un des cadres sur le meuble usé se trouvait aussi dans la poche intérieure de sa veste.

OönskadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant