Chapitre 1

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- Je n'en peux plus ! C'est au moins la sixième fois que ça sonne ! C'EST DE LA TORTURE ! Chaque fois que je m'endors, 'y a ton téléphone à la con qui me réveille !


Le lendemain soir, vers 20h. Elle tient son coussin d'une main et s'active pour ouvrir ce maudit lit de camp qui ne s'ouvre pas si facilement.

- Quoi ?! Tu vas dormir avec les enfants ?

- Ecoute, tant que ça ne cesse pas, je ne dormirai plus dans la même chambre. C'est arrivé combien de fois ? peut-être dix fois depuis qu'on a emménagé ? Je ne le supporte plus ! Je suis déjà réveillée par la petite... ce n'est pas de sa faute. J'ai besoin de me reposer. Mon sommeil n'est pas réparateur pour le moment. Il faut que je dorme pour pouvoir me lever et aller travailler, quand même !

Les enfants dorment paisiblement de part et d'autre de son corps. Elle entend leur respiration. De quoi peuvent-ils rêver ? Quelle contradiction ! Son corps s'emplit de la tendresse qui émane de ces moments, mais en même temps, elle est épuisée et aspire à un repos en solitaire...

Ses enfants... On croirait que son cœur grossit et prend tout l'espace de sa cage thoracique quand elle les voit...

Le pied de son grand garçon dépasse de sa couette et sa bouche reste entrouverte. Il semble si paisible ! Quant à sa petite fille, elle a une main dans le décolleté de sa mère. On ne sait jamais... C'est un gage de sécurité : lait et rythme cardiaque à disposition ! Ses petits cheveux – peut-on appeler cela des cheveux ? ils sont si doux, si fins... – lui chatouillent le nez, lui caressent le cœur. Elle écoute le chuchotement régulier des enfants qui dorment.

A 6h35 sonne le réveil. Enfin... « sonner » n'est pas exact. Les notes de musique enrayées par l'un ou l'autre grésillement augmentent de volume. On pourrait alors dire : « A 6h35 joue le réveil » ? Elle se lève et éteint l'appareil. Il fait encore sombre dans la chambre. Son corps encore ankylosé par le sommeil regrette d'avoir quitté la chaleur et la douceur de la couette.

 - Allez ! Il faut se lever ! Tu t'habilles et tu dresses la table ? Allez ! Hop, hop, hop ! Je ne peux pas arriver en retard. Tu sais bien que c'est un jour où l'on commence tôt !

Elle ouvre la porte de la chambre et s'arrête in extremis.

La lumière éclatante du soleil entre dans la chambre et dévore chaque recoin de l'espace qui somnolait quelques instants auparavant. Les enfants clignent des yeux, la femme recule, tombe presque, s'assied et tient sa poitrine pour calmer son cœur qui cogne férocement dans sa prison.

Devant les six yeux à présent habitués à la lumière du soleil, tombe une falaise de craie blanche dans une mer déchaînée.

La femme hurle le prénom de son compagnon vers la porte ouverte. Aucune réponse. Aucun écho. Une douleur écrase son cœur. Où est-il ? Que lui est-il arrivé ?

La femme se précipite à l'autre bout de la pièce, ouvre les tentures qui cachent la fenêtre qui donne sur le balcon et s'aperçoit qu'un mur y est dressé, dans la parfaite continuité du reste du mur. Elle referme alors la porte pour éviter que la petite ne tombe de la falaise et s'assied sur le bord du lit. Ses pensées se bousculent.

« Il ne faut pas se laisser abattre ». C'est ce que son père lui disait. En même temps, il s'est suicidé, il y a trois ans. Il s'est donc littéralement laissé abattre.

Elle ouvre l'armoire et prend ce qu'elle y trouve d'utile : une gourde à moitié vide, deux sacs de piscine vides, des vêtements du grand qui serviront sans doute à la petite aussi, des anoraks. Elle regarde autour d'elle et s'empare aussi des jumelles jetées dans un coin.

- On va partir à la recherche de S.. Que penses-tu qu'on pourrait emporter d'utile pour notre voyage ? dit-elle au grand.

- On pourrait prendre les talkies-walkies, une tente, les couvertures.

- Mais on n'a pas de tente... et pour les talkies-walkies, on risque de ne plus avoir de batteries, mais c'est une bonne idée. Les couvertures, OK. J'espère qu'il ne pleuvra pas là où on ira.

- On va où ?

- Je ne sais pas. On va chercher S..

Au sol, elle prend les chaussures que sa fille a jetées hier dans la pièce et qu'elle n'avait plus le courage de ranger. Elle se chausse et chausse la petite. Le grand se chausse seul.

Avec une des couvertures, elle attache du mieux qu'elle peut la petite de deux ans sur son dos. Elle pose ensuite un pied sur une des roches qui surplombent la mer, vérifie que la roche ne risque pas de se détacher ou de la faire glisser et accroche sa main au chambranle de la porte. De son autre main, elle invite son grand garçon à la tenir. Ils passent difficilement vers le plateau de la falaise. Le grand a peur. Elle lui sourit et se sourit intérieurement.

Le métronome de la vieWhere stories live. Discover now