- On peut en manger ?
- Oui, bien sûr.
La mère prend les fruits, les nettoie dans l'eau, en propose à son grand.
- Beeeuh. C'est acide !
- Oh c'est que cette groseille n'était pas tout à fait mûre. Essaie celle-ci.
- Ah oui, ça ressemble un peu aux mûres qu'on a goûtées en Roumanie, tu te souviens ?
- Oui, oui, je vois bien. C'était chouette en Roumanie, hein ?!
L'enfant ne présente aucun changement notable. La mère propose des baies à la petite qui rechigne d'abord puis en mange plusieurs.
La bouche pleine de reste de fruits, le grand lui demande :
- Et si on faisait un feu ? Comme un feu de camp ? Comme les Indiens ?
- Heu... Oui, on peut essayer, mais pour éviter un incendie, il faudrait un espace suffisamment dégagé et de l'eau pour l'éteindre au cas où un incendie naîtrait. Lave-toi d'abord la bouche, je n'ai pas envie d'avoir des fourmis partout.
Elle débarbouille le visage rond de sa fille et s'assure que son fils se lave le visage.
- Oh regarde ! Je vais utiliser ce caillou. Tu as vu comme il est pointu ? Il y en a plein dans le fond de l'eau qui vont me servir à faire le feu.
- Laisse sécher tes cailloux au soleil et cherche des brindilles sèches pour démarrer le feu. Ensuite, on cherchera un endroit pour faire un feu.
Après un certain temps à chercher des brindilles (la petite aussi s'y est mis !), la petite troupe repart. Combien de temps était-il passé depuis que la famille avait quitté la chambre ? La femme observe le soleil qui semble presque à son point culminant. Ils doivent être partis depuis quelques heures, sans doute 2-3 heures.
A cette heure-ci, le grand devrait être assis dans sa classe, en train de remplir des feuilles d'exercices. A cette heure-ci, la petite devrait être assise à table et prendre son déjeuner avec sa « puéricultrice de référence ». A cette heure-ci, elle, elle devrait être en classe avec ses élèves, à essayer de leur faire découvrir la littérature médiévale alors que son ventre gargouille. Son corps ne suivait pas les rythmes imposés par le système économique mis en place.
La famille marche lentement, s'émerveille devant les oiseaux qui volettent au-dessus de leur tête, s'effraie devant un rongeur presque aussi gros que la petite qui passe devant eux à toute allure. Enfin, la famille trouve un espace dégagé, plus sec, sans beaucoup de flore au sol et sans arbres alentours.
L'enfant lui montre l'endroit et pose tous ses cailloux et ses brindilles au sol. L'enfant tape un caillou sur l'autre, se blesse et le caillou se brise.
La mère nettoie la plaie de l'enfant avec un peu d'eau de la gourde. L'enfant reprend sa tentative. La mère prend le caillou devenu très tranchant et le cache dans une des chaussettes emportées dans un des sacs de piscine.
La petite chipote aux cailloux laissés au sol. Le grand râle, la petite crie. La mère les laisse se débrouiller entre eux. Après tout, elle ne sera pas toujours là pour qu'ils gèrent leurs conflits.
La mère s'approche, prend un caillou, prépare un petit tas de brindilles séchées et commence à frotter deux cailloux. Elle coince son index entre les deux cailloux, lâche les incriminés et voit sa fille la dévisager.
Elle se souvient alors qu'ils ont emporté les jumelles. Elle explique alors à son fils que les jumelles sont comme des loupes et qu'ils peuvent donc espérer que le soleil, en traversant une des lunettes des jumelles, enflamme une brindille. Ils essaient, le regard de son fils s'intensifie sur les brindilles, une brindille brille, fume et une flammèche fuse du petit tas. Le grand est émerveillé, la petite souffle pour signifier que c'est chaud. Elle répète « chaud, chaud », en montrant le feu de son petit doigt boudiné.
Le feu s'allume. Le grand est tout fier, bombe le torse, se met à émettre des sons autour du feu. C'est une chance inouïe d'avoir réussi à allumer un feu si rapidement après un premier essai. La petite suit son frère, crie aussi en imitant la mélodie, mais pas les sons des néologismes du grand.
Les enfants s'assoient, fatigués de leur jeu.
La petite pleurniche, elle cherche le sein de sa mère, assise tout près d'eux. Le grand les regarde.
- Maman, qu'est-ce qu'on mange ? J'ai faim.
- Je ne sais pas. On va devoir manger ce qu'on trouve. C'est un peu comme les Indiens d'Amérique ou comme on faisait il y a très très très longtemps quand les supermarchés n'existaient pas.
- On aurait dû prendre les graines pour faire pousser des légumes !
- Oui, tu as raison. Mais bon... on n'a pas pu prendre grand-chose, je te rappelle... L'appartement a disparu ! Sinon, j'aurais pris des vêtements et des provisions, au moins...
- Et moi, ma console !
- Oui, c'est vrai qu'elle aurait été très utile... Ahahah !
La mère veut se dégager des petites mains envahissantes de sa fille. Elle la repousse gentiment. La petite crie, se raccroche à sa mère, sa mère la repousse plus fermement, la petite tombe et hurle. Les cris déforment le visage de l'enfant : « téter ! téter ! ».
Les larmes n'ont pas eu le temps de sécher. Le ventre continue de se plaindre. Les enfants et leur mère regardent le feu s'éteindre. La mère attache la petite sur son dos, malgré ses protestations. La meute reprend sa marche lente.
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Le métronome de la vie
ParanormalQuand ils se réveillent, elle et ses deux enfants, et qu'ils ouvrent la porte de la chambre, ils découvrent que leur appartement a disparu, que S. a disparu, que la ville a disparu... Que s'est-il passé? Où est S.? Comment va-t-elle réussir à gérer...