Le voilà enfin : ce manoir dont j'ai dû rêver des dizaines et des dizaines de fois. Cela faisait deux mois que j'étais majeure. Deux mois où, durant la majorité de mes nuits, mon subconscient s'amusait à imaginer la vie que je pourrais désormais mener dans cette demeure. Deux mois où tous les jours qui passaient se résumaient à des signatures sur d'innombrables papiers pour s'occuper de mon futur emménagement. Deux mois que j'avais reçu cette lettre rédigée par mes défunts parents. Grâce à cette dernière et à la photo du manoir qui illustrait ses lignes, j'avais pu me faire une idée de ce à quoi ressemblerait mon futur chez-moi. Cependant, maintenant que j'étais réellement face à lui, je me rendais compte qu'il était encore plus imposant et majestueux que dans mes songes. Mon enthousiasme était tel que, au moment où j'aperçus sa façade, ma mémoire effaça tout le dépit que j'avais ressenti en faisant ce chemin interminable pour le trouver.
Je secouai alors la tête pour me remettre les idées en place et commençai à m'approcher tout en continuant de l'observer dans les moindres détails. Les nombreuses fenêtres, semblables à des vitraux, prenaient des teintes bleutées grâce aux rayons lunaires qui les traversaient, et ce spectacle ne fit que renforcer mon admiration pour cet endroit. J'avançais lentement en voulant graver chacune de ces secondes de contemplation dans mon esprit : je savais que, une fois habituée aux lieux, je n'allais plus faire attention à ces détails pourtant saisissants.
Je montai les marches qui menaient au seuil de la porte et tendis une main vers la poignée. Lorsque mes doigts effleurèrent cette dernière, un long frisson me parcourut. Le métal glacé me fit reprendre conscience du froid environnant et de la maladie que j'allais sûrement attraper si je restais une seconde de plus à l'extérieur. Je poussai alors vigoureusement la porte et me précipitai dans son embrasure. Une fois que je l'eus refermée, je me retournai pour découvrir un hall magnifiquement décoré avec des objets d'époque. La fatigue que j'avais accumulée jusqu'ici disparut alors pour laisser place à la curiosité de visiter cet endroit incroyable. Enivrée par la beauté des lieux, je laissai ma valise au milieu de l'entrée et décidai de continuer mon exploration par les escaliers. Tout était en parfait état, sans aucune trace de poussière, et les meubles brillaient sous la lumière d'un lustre somptueux. C'est à ce moment que je me stoppai brutalement en plein milieu des marches. Dans mon esprit, je tentai de me remémorer tous les éléments suspects dont je n'avais pas vraiment fait attention depuis que j'étais arrivée ici : la clef que je n'eus pas besoin de sortir pour ouvrir la porte, la propreté anormale pour un lieu abandonné et enfin la présence de lumière avant mon arrivée. Le manoir avait-il été occupé en mon absence ? Pour me donner une contenance, je resserrai ma prise sur le sac que je portais en bandoulière et fermai les yeux un instant en inspirant lourdement.
Lorsque je rouvris les paupières, je me sentis comme...observée ? Alors que je tentai de me rassurer en me disant qu'il s'agissait là de mon imagination, une voix masculine parvint à mes oreilles, et un homme me fit face.
« On s'est perdue ? me lança-t-il avec un sourire mutin. EH ! Y A UNE DONZELLE DANS L'ESCALIER ! s'écria-t-il en me jaugeant de la tête aux pieds. »
Je restai là, interdite. S'il a crié ça, c'est qu'il n'est pas tout seul, n'est-ce pas...? Tandis que je faisais marche-arrière jusqu'à atteindre le centre du hall, une autre voix se fit entendre à ma gauche :
« Pourquoi en parles-tu avec autant de dédain, Beliath ? Je sais qu'il nous faut nous adapter aux époques que nous traversons et aux expressions qui vont avec, mais je crois que, pour certaines, nous pouvons nous en abstenir... lâcha le nouveau venu. »
Je tournai la tête dans sa direction pour lui faire face et fus surprise par son apparence. Il était vêtu de vêtements d'une époque bien trop lointaine pour pouvoir la situer ainsi que d'un sabre qu'il portait à la ceinture. Mais ce qui m'étonna le plus fut ce bandeau qu'il portait sur les yeux. Je me doutai donc qu'il devait être aveugle car je ne l'imaginais pas en pleine partie de colin-maillard... C'est alors que je remarquai qu'il était accompagné d'un autre homme. Ce dernier, quant à lui, avait de longs cheveux blonds attachés et était habillé à la manière du XIXe siècle, tenant une canne dans sa main. Lorsque son regard de glace croisa le mien, je ressentis le même frisson que lorsque j'avais touché la poignée de la porte d'entrée et je reculai justement vers cette dernière, terrifiée.