𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞 𝟏 :

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Une légère distraction dans un appartement trop grand. Un bruit de soie que l'on enlève délicatement. Une goutte de sueur sur le coin du front dans une atmosphère torride. Une étoffe de trop qu'elle enlève de ses mains habiles.
Elle se retrouve nue, face au miroir, regarde sa peau brune se reflétait ce soir ; quelques tâches de naissance dans le bas de son dos, des grains de beauté parsemés çà et là comme des centaines de détails ; ses yeux d'or où s'expriment la beauté et le désordre.
Tout à l'heure, il verra, il verra toutes ces petites choses qui font d'elle ce qu'elle est, il verra sa délicatesse et sa peau de pêche, il dégustera sa chaire comme un met éternel.
L'eau de la douche coule doucement. Brûlante, elle oublie le stress qui ne cesse de grandir dans son ventre, la peur de savoir que bientôt il sera là ; il l'attend, il arrive, et doucement se dirige vers cette chambre d'hôtel devenue oppressante depuis peu de temps.
Sa peau mouillée a rougi par endroit ; dans ses gestes, une certaine sensualité, un toucher délicat, des doigts qui se promènent sur sa chaire, tapotant sa peau comme un piano.
De l'autre côté, on frappe à la porte. Elle se dépêche d'enfiler une serviette, de se faire un chignon précaire ; elle n'est pas maquillée, son visage est au naturel, sa peau est dénudée.
Elle sort de la pièce et se dirige vers la porte.
"Qui est-ce?"
Une légère hésitation dans sa voix ; sa demande est bancale, timide, résignée, partagée entre le désir, l'excitation, l'interdit, l'anxiété.
"C'est moi. Je suis venu plus tôt. Tu n'es pas prête ?"
Non je ne suis pas prête, pense-t-elle tout bas dans sa tête. Pas aujourd'hui. Pas ce soir. Ni aucun autre. Je ne sais pas quand. Je ne sais pas quoi faire. Je te veux ici, et ailleurs. Qu'est ce que je suis sensée prendre comme décision qui pourrait être cruelle ?
Finalement, le verrou tombe et laisse place à la stature imposante de l'homme qu'elle attendait.
Un jeu de regard s'installe. Tout est figé ; ils ne savent pas combien de temps ils s'observent, s'imprègnent du visage de l'autre, analysent les détails de leur conjoint mutuel.
Ils restent là, à laisser les secondes défiler, l'air de se demander qui craquera le premier.
Elle finit par laisser un espace suffisant pour le faire entrer. Il semble revenir à lui, et d'un pas sûr, il s'avance. Elle ferme derrière lui ; et pendant une légère seconde, laisse passer le temps comme une éternité qui se creuse dans sa poitrine. Elle court se réfugier dans la salle de bain, ravale un sourire béât ; tout est si bête quand on aime, si léger. Pourtant elle ne sait pas réellement si elle l'aime. Sa présence lui est quelques fois nécessaire ; elle aime le sentir contre elle, que leurs doigts se touchent derrière une ombre de fête ; petits gestes discrets glissés délicatement entre deux salutations mondaines. Ils se cherchent, se caressent de leurs yeux de félin, s'aggripent sans se toucher, partent à la recherche des Lendemains.
Mais ce soir, elle sait que tout sera différent. Qu'ils ne resteront pas l'un en face de l'autre, sans rien faire d'autre que de se regarder.
Et c'est ce qui lui fait peur, à la Douce. C'est d'enfin accédé à cette intimité dont elle rêve tant.
Et s'enfuir dans sa salle de bain n'était qu'un prétexte pour retarder encore plus ce rendez-vous qui semble si angoissant. Retarder le moment où elle devra le regarder droit dans les yeux, ce regard qui suffit à lui mettre le brasier dans la chaire. Devenir son incendie, une étincelle de folie dans le chaos de deux sueurs qui se mélangent. Créer la flamme de la passion, deux corps de silex qui fabriquent la plus grande création du monde. Devenir cette lumière dans l'obscurité d'une existence. Se jeter éperdument dans ses bras, et d'un coup se transformer en proie, en être vulnérable. Se lancer, sauter, et ne plus pouvoir reculer.
Pourtant, elle retarde ce moment-là, comme une peur incontrôlable mêlée à l'excitation d'une volonté.
Retarder ce moment où elle devra tout affronter. Retarder l'approche de leurs deux corps enflammés. Laisser s'installer le désir suprême ; et finalement, après une attente trop grande remplie d'ardeur, succomber au péché et au bonheur...

L'étoffe Où les histoires vivent. Découvrez maintenant