Viviane

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C'est après l'université que j'ai commencé à travailler dans une grande entreprise de la côte ouest. Sur ma carte de visite j'ai pu écrire : « Viviane, responsable du service Ressources Humaines ». J'ai la chance d'occuper un poste gratifiant, mais ma véritable passion ce sont les randonnées. Quelque chose me manque dans ce monde. Je ressens le besoin d'être reliée à la nature, de participer à son harmonie. Bien sûr, ma vie professionnelle, aussi gratifiante soit-elle, ne me permet pas vraiment d'atteindre ce but. C'est pourquoi je m'adonne à la randonnée dans les parcs nationaux, randonnées que j'effectue généralement seule.

Il est cinq heures du matin et nous sommes lundi. Je suis justement censée me préparer pour aller au travail. Mais ce lundi sera différent des autres ; hier, je suis allée faire une randonnée et un événement particulier est survenu ; cette nuit également, où je me suis levée il y a moins d'une heure après avoir fait un rêve étrange :

Hier, donc, j'ai presque cru me perdre à travers la forêt, j'empruntais pourtant des sentiers connus mais les lieux me semblaient différents.

Le regard que l'on porte sur les choses où les personnes n'est pas toujours le même. c'est ce que j'ai ressenti hier en avançant à travers les arbres, la forêt semblait m'observer, avec une certaine bienveillance. J'y voyais là un sentiment de communion avec la nature ; d'habitude, je considère chaque arbre, chaque plante ou même élément du paysage comme une chose à mes yeux vivante, mais prise individuellement. Pour la première fois, j'avais le sentiment de rentrer en communion avec toute la forêt dans son ensemble. J'y voyais là le fruit de l'expérience de mes randonnées. A un moment, j'ai donc décidé de quitter le sentier balisé, ce que je fais rarement. J'ai ainsi descendu vers un vallon où les arbres étaient de plus en plus hauts et j'ai trouvé le sentiment de paix et de communion avec la nature que je recherche à travers cette activité.

Alors que je déambulais au milieu des arbres, j'ai aperçu quelque chose d'aussi inattendu que surprenant : au beau milieu de nulle part, en plein milieu des bois, je distinguais à travers les arbres un escalier ! un escalier tout seul, planté là, sans rien autour. En m'approchant, je l'ai trouvé d'autant plus impressionnant qu'il s'agissait d'un de ces « grands escaliers » tels qu'ils étaient édifiés dans les maisons bourgeoises du début du siècle. L'escalier avait plusieurs volées, avec un côté d'où l'on serait monté et l'autre descendu, le tout taillé dans un bois d'un rouge profond.

J'étais abasourdie. Cet élément incongru, totalement déplacé mit fin au sentiment de quiétude que j'avais ressenti jusque-là pour faire place à de multiples interrogations : que diable un tel ouvrage venait faire là au beau milieu de la forêt, dans quel but, pour qui...

Je n'osai d'abord m'approcher davantage. Puis, subjuguée, je m'en approchai de plus en plus, jusqu'à poser mon pied sur la première marche et agripper fermement ma main sur la rampe de bois. Je soulevai tout mon corps et escaladai la seconde marche, la structure semblait solide. C'était incroyable, je montai ainsi les marches. L'escalier montait jusqu'à un premier étage où un grand palier permettait de redescendre par l'autre côté, puis à un second étage. Je montai jusqu'en haut, en me penchant par-dessus la dernière marche, je constatai qu'il y avait un grand vide qui donnait tout simplement sur la forêt ! je redescendis et me fis la réflexion que cet escalier était un peu comme ma vie : robuste et plutôt avenant, il semblait avoir un bon potentiel, plusieurs possibilités d'entrée ou de sorties mais ne mener à rien de concret, voir être inutile ; j'avais pourtant l'assurance qu'il pouvait être utile, tout comme ma vie devait avoir un but.

Redescendue sur le sol, je retrouvai la forêt toujours aussi accueillante mais décidément si pleine de mystères.

Je décidai alors de rentrer chez moi, car il se faisait tard et cette découverte avait malgré tout quelque chose d'inquiétant. Cependant mon retour se passa bien et je me couchai sereinement ce soir-là.

Puis, cette nuit, je me suis endormie sans m'en rendre compte, ce qui n'est pas forcément habituel. J'ai ensuite fait un rêve étrange : j'étais sur le sentier comme l'après-midi précédent où je sentais un peu perdue bien que le lieu soit connu de moi. Je continuais d'avancer tout en trouvant l'atmosphère étrange ; au loin j'entendais des bruits de chantier, comme si des bûcherons travaillaient à couper des arbres. Ces bruits s'intensifiaient jusqu'à approcher du lieu où je m'étais écartée du sentier l'après-midi précédent.

Bien que très inquiète, je poursuivais mon chemin descendant vers l'endroit où j'étais allée. Au fur et à mesure de ma descente, les sons devenaient plus aigus, signe que je me rapprochais de leur source. J'arrivai à l'endroit d'où je pouvais apercevoir le grand escalier. Il était toujours là et des hommes s'affairaient autour. Ils étaient nombreux et d'une grande dextérité. C'était ce genre de personnes qui armées d'une machette peuvent vous fabriquer un meuble en quelque minutes et vous jureriez que l'objet est sorti d'une chaîne de fabrication. Je les observais pendant plusieurs minutes sans que ceux-ci ne semblent me remarquer. Leur capacité à débiter un tronc à grand coup de coin, masse et hache était beau et impressionnant mais faisait peur à voir.

Je constatais qu'une maison était en construction autour de l'escalier, cette maison semblant se fondre dans la forêt comme si elle en était un membre ou plus simplement une partie. C'était étrange et je me sentis attirée, avec une sorte de désir irrésistible de savoir à quoi ressemblerait cette maison une fois terminée, pourquoi elle était bâtie ici et par qui et pour qui !

Fascinée mais prudente, je me suis réveillée.

Ce lundi matin n'est pas comme les autres, je me suis réveillée avec la conviction que je dois retourner maintenant à cet endroit pour voir ce qui s'est passé. Ma fascination pour ce lieu a tourné à la hantise : peut-être est-ce moi qui vais habiter cette maison ? Si cet escalier représentait ma vie, suis-je le spectre censé habiter cette demeure ?

Un escalier dans la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant