Chapitre 1

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Mon nom est Annabella de Moncada, je suis issue d'une riche et puissante famille sicilienne. Enfin, je suis issue d'une famille qui retrouvera gloire et honneur, dès lors que je serai mariée au Duc de Bourgogne. Je vous concède bien volontiers que ce mariage ne m'enchante guère. Le simple fait de m'imaginer au bras d'un homme de dix-huit ans mon aîné, me révulse. Mais l'honneur de la famille des Moncada passe avant tout.
Je suis l'ainée d'une friterie de neuf enfants, dont un seul fils et héritier. Monsieur notre père attribue ce malheur à une punition divine, mais je n'en crois rien. Sa déception à la naissance d'une nouvelle petite fille, n'est que trop flagrante, ce qui ne la rend que plus révoltante. Je comprends que la naissance d'un fils soit considérée comme un miracle, qu'il soit le seul à pouvoir hérité de notre fortune, qu'il soit le seul à pouvoir faire perdurer notre nom, mais un père a le devoir d'aimer chacun de ses enfants, et ce peut importe leur sexe. Je n'ose guère imaginer la déception que fût la sienne à ma naissance. Quelle gloire se fût été d'avoir pour premier naît un héritier mâle ! Malheureusement, ils durent se contenter de moi. Francisco, le cadet, n'a que deux ans, mais il a déjà reçu plus d'amour et d'attention, que moi et mes sœurs réunies n'avons jamais eu. La jalousie est péché, je le sais, et plusieurs fois, je me suis repentie devant Dieu. Mais cela ne change rien au fait, mon envie ne fait que croître de jours en jours.
Je plains de tout mon cœur et de toute mon âme notre pauvre mère, obligée de porter constamment en son ventre un enfant, espérant à chaque fois répondre aux attentes du maître. Et je ne parle même pas de la douleur qui la ronge depuis la perte de notre regrettée Rosabella, la première d'une longue lignée d'enfants qui n'ont pas eu la chance de survivre. Elle succomba de la variole à seulement trois mois. Durant son agonie, Monsieur notre père ne lui a pas rendu visite une seule fois. Cette absence ne faisait qu'enfoncer notre mère dans un désespoir toujours plus profond. Je me souviens l'avoir vu implorer maintes et maintes fois le seigneur pour qu'il épargne notre petit ange. Rosabella avait l'air si paisible, plongée dans l'obscurité de sa chambre, seulement éclairée par la lueur d'une bougie dont la cire coulait lentement, comme la larme d'un dernier soupire, de son dernier soupire avant de s'éteindre. On l'aurait dite endormie, plongée dans un profond sommeil rempli d'amour et de joie. On se serait attendu à la voir s'éveiller à chaque minute qui passait. Notre petite Rosabella s'est éteinte le mardi 18 juin de l'an 1714. Ce jour-là, j'ai cessé de croire en Dieu, il n'était qu'une création fantasque de l'homme, car s'il existait vraiment et que Dieu n'est qu'amour, il n'aurait pas rappelé à ses côtés une enfant de trois mois. Si par malheur on apprenait mon point de vue sur l'existence du seigneur, on me ferait brûler en place publique pour hérésie. J'ai donc toujours pris grand soin d'assister à toutes les messes, à toutes les cérémonies. Imaginez, une italienne issue d'une grande famille attachée aux valeurs du catholicisme, ne croyant point en l'existence de Dieu.
Pendant longtemps, on m'a promise au Rois de France. Mais sa majesté le Rois de France a jugé bon de se financer à la fille du Rois de Pologne. Ce revirement soudain de situation a valu à ma famille une lourde humiliation. J'étais l'enfant qui n'avait su causer  que la honte et le déshonneur, il était donc grand temps de se débarrasser de moi, de me marier en somme.
Ne suis-je donc à leurs yeux qu'un fardeau dont il faut se débat au plus tôt ? Un animal dont ils peuvent disposer à leur guise ? J'ai le profond d'avoir été vendue au plus offrant. Et cette situation ne semble déranger personne. Qui ira plaider ma cause un fois en France ? Ce pays qui m'est étranger et que bientôt, je devrai appeler ma patrie. Ma Sicile natale, ses jardins et ses parfums me manqueront. Le palais de mon enfance où se rencontrent et se marient les senteurs les plus uniques de toute l'Italie. Ce mode de vie à l'italienne que toute l'Europe nous envie. Je devrai quitter tout ceci pour un homme dont je ne sais rien, un pays qui n'est pas le mien et une vie de dévotion pour un mari qui me déplaît en tous points. Me voilà bien pessimiste. J'aurai la chance immense d'être propulsée au rang de duchesse, d'avoir accès à la fortune qu'incombe ce titre, et peut-être que j'aurai même le plaisir divin de me rendre à la prestigieuse cour de France. J'aurai alors le plaisir de côtoyer celui qui aurait pu être mon époux mais qui a jeté le déshonneur sur ma famille. Superbe programme n'est-ce pas ? On pourrait me croire envieuse de la futur Reine de France, mais il n'y a dans mon cœur aucune rancune envers cette femme. Certes, à choisir entre le Duc de Bourgogne de dix-huit ans mon aîné et le Rois de France de un an mon cadet, je n'aurai pas hésité un seul instant. Mais le destin en a décidé autrement, et je comprends les raisons qui ont pu pousser le Rois à résigner notre contrat de mariage. Ces raisons se résument aisément par un seul et unique mot : politique. Le pays a beaucoup plus besoin de la Pologne, de sa noblesse et de son appui militaire, que de la Sicile et sa fortune. Je serais donc duchesse dans un pays qui s'écroule. Monsieur notre père ne peut ignorer la situation actuelle de la France. Il me jette donc en pleine connaissance de cause dans cet enfer. Ou alors le serai-je fourvoyer sur son compte et serait-il sot ? Ou fou ? Notre père pourrait-il être atteint de mal ? Je l'imagine sans grande difficulté, prit de folie lors de la messe quotidienne. Au moment du Je vous salue Marie, il se mettrait à crier des obscénités au nez du prêtre déconcerté. Il finirait ses jours à chanter les airs de la Scalla, seul, au milieu des richesses qu'il aura accumulé à force de vendre ses filles. Il se serait passé des années depuis la mort de son favoris et de madame notre mère, des suites d'une énième grossesse, et dont le résultat était au grand dame de notre père, une autre fille.
Je sais qu'il est mal de souhaiter le malheur d'autrui. Mais sans le moindre remord, ce monstre ose m'enfermer dans une prison dorée de Bourgogne. Alors je suis navrée d'avoir à vous dire que je ne regrette point mes mots, et encore moins mes propos. Je ne crois point en Dieu, mais cela n'empêche que je crois de toute mon âme à une justice divine et au jugement dernier. Un jour nous payerons tous pour nos méfaits, et sans distinction de rang ou de sexe. Je ne prétend pas pouvoir prétendre à l'accès du royaume des anges, je doute même d'en être digne, mais mon plus grand bonheur serait que Monsieur notre père n'y accède pas non plus.
Je viens de réaliser que mon destin n'était peut-être pas si noir que je le pensais, il se pourrait que je puisse attenter à une condition de dame d'honneur de la Reine de France, et par la même occasion, je pourrais espérer avoir quelques distractions.

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⏰ Dernière mise à jour : May 01, 2020 ⏰

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𝑀𝑜𝑖, 𝐴𝑛𝑛𝑎𝑏𝑒𝑙𝑙𝑎 𝑑𝑒 𝑀𝑜𝑛𝑐𝑎𝑑𝑎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant