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Aujourd’hui c’est le tour de Jean-Jacques.
J’arrive au Buffet de la Gare de Céligny comme d’habitude une demi-heure avant le rendez-vous.
Je demande où est la table réservée par Mr. Calteau et je fais semblant de ne pas remarquer les regards perplexes du personnel.
Je m’assois.
Et j’attends.


Ça n’a pas toujours été si facile.
Au début je ne pensais pas que l’homme amoureux arrive toujours en avance. Et ce n’est pas si évident de débarquer à la table d’un rendez-vous galant avec un homme, si vous vous appelez Georges, que vous pesez 90 kilos et mesurez 1 mètre et 85 centimètres.
C’est vrai, vous partagez le même nom de famille que l’amoureuse si attendue, mais sûrement pas le même charme.
Surtout, 185 centimètres sont longs à être sondés par deux yeux pas trop sûrs d’être dans le bon film.
Et le bruit de la chaise sous les 90 kilos, ce n’est pas la plume qui tombe.
Il vaut donc mieux être déjà assis à l’arrivée de l’amoureux.


Autre faute d’inexpérience, je n’arrivais pas à soutenir le regard du maître d’hôtel ni celui de la serveuse, quand je me déclarais l’un des deux hôtes de la table quatorze, menu « Délices d’Amour », et non, je n’étais pas le monsieur qui avait réservé.
J’ai dû plusieurs fois m’empêcher de fuir, le visage rouge et la voix qui bégaie.


Jean-Jacques a été gentil.
Naturellement choqué au début, j’ai lu sur son visage tous les points d’interrogation possibles dans toutes les déclinaisons imaginables.
Mais ça n’a pas duré plus de 30 secondes.
Il a tout de suite compris que la bataille était perdue, et il a sagement décidé de profiter de la selle de chevreuil et du bon vin et, encore mieux pour moi, de la compagnie virile où on se plonge souvent en cas d’échec de coeur.
Il n’a même pas posé la question.


Bref, quelques bouteilles plus tard on s’est chaleureusement salués une fois sortis du restaurant.
On s’est pris dans les bras très fort sous le berceau de roses et de lumières, et on s’est serrés juste le temps que les regards douteux des serveuses derrière les fenêtres ne deviennent des clins d'oeil de certitude.


Je suis rentré en taxi.
Ivre mort.

La fille qui posait des lapinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant