Atlantide

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Je ne me souviens pas exactement quand j'ai arrêté de lire, mais il devait être relativement tard puisque plus aucun rayon chaleureux ne traversait les rideaux de mousseline verte, à ma droite. En réalité, il est sans doute plus judicieux de se demander non pas à quel instant mes yeux ont cessé de parcourir les mots, mais le moment auquel ils se sont fixés sur l'un d'eux, l'imprimant, le gravant indélébilement en lettres de plomb au plus profond de ma rétine.

Quelques heures auparavant :

Dodelinant d'une manière à peine perceptible au début, ma tête finit par clairement osciller, tant et si bien que je basculai en avant, heurtant en un bruit sourd l'ouvrage dans mes bras. C'est étonnant, en tant qu'amatrice des romans de Jules Verne, j'aurais pensé « plonger » avec plus facilité dans l'univers de « 20 000 lieues sous les mers ». Ma main gauche chuta sur le doux drap qui me couvrait, alors que la droite se crispait, enserrant un feuillet innocent. Mon front reposait sur le papier lisse, tentant d'en absorber la fraîcheur en cette brûlante nuit d'été. Mes cils frémirent, et alors que mes paupières papillonnaient discrètement de fatigue, plusieurs caractères noirs d'une profondeur absolue attirèrent furtivement mon attention : ATLANTIDE. Enfin, vaincue par la douceur comateuse de l'atmosphère, je m'endormis.

Aussitôt, le tissu confortable se mua sous mes doigts en une substance visqueuse, flasque et glacée, autrement dit extrêmement désagréable. Les croassements estivaux des batraciens laissèrent place à un silence sourd, où seuls étaient perceptibles les battements de mon cœur, qui tambourinait dans ma cage thoracique à m'en briser les côtes. Finalement, poussée par la curiosité, j'ouvris brusquement les yeux.......et les refermai aussitôt. C'était impossible, surréaliste, inimaginable, tellement tordu : l'immensité des fonds marins me faisait face ! Non, disons plutôt qu'elle m'englobait, m'intégrait à son corps pellucide. Levant un bras, j'observai le scaphandre fauve dont j'étais vêtue, fascinée. Chacune des cellules de mon corps me hurlaient continûment de m'enfuir, d'effacer de mon horizon le bleu limpide des eaux. Cependant, comment aurais-je pu ? Je devais être à des heures de nage de la bande terrestre la plus proche. Mentalement, je dressai la liste non exhaustive des stratégies envisageables, et la première (qui était par ailleurs loin d'être la plus évidente), consistait à ne pas paniquer et observer calmement : un poisson au sang froid parmi les autres. Ainsi, l'oxygène parvint plus aisément à mes poumons et je repris contenance. Je décidai également de trouver un moyen de m'échapper de cette terrible prison aquatique, quoi qu'il pu m'en coûter. Tout d'abord, il me fallait descendre du rocher sur lequel je siégeais depuis déjà plusieurs minutes. A chacun de mes pas se formaient quelques effusions de sable vaseux, contrastant avec la clarté des eaux, et d'où filaient de petits poissons argentés. Je sentais les coraux se fracturer à travers le caoutchouc de mes bottes, mutilés par mes pieds meurtriers, et ce massacre me brisait le cœur. Cependant, avais-je le choix ? Je devais quitter cet endroit au plus vite. Alors que ma foulée se régularisait, une parcelle de coraux attira irrésistiblement mon attention. Chacun d'eux était d'un rouge ténébreux, sanguin, et possédait un éclat à la fois brut et poli : jamais je n'avais vu pareille merveille!Incapable de détacher mon regard de ses êtres grenats, je déviai de ma trajectoire et arriva ce qui aurait dû arriver depuis bien longtemps : distraite, je n'aperçus que trop tard la légère protubérance sableuse contre laquelle butèrent mes orteils...et je tombai. La chute dura, s'éternisa, le temps semblait s'étirer, chaque seconde m'apparaissant infiniment plus vaste que la précédente. En effet, les falaises qui s'enfonçaient à ma gauche et ma droite s'espaçaient de plus en plus rapidement, de sorte qu'il me semblait flotter dans un « rien » d'une stupéfiante beauté, au bleu nuit sensible et profond. J'avais froid, très froid, et jamais le silence n'avait paru si assourdissant. Il emplissait l'oxygène que je respirais, prenais racine en mes poumons, puis s'engouffrait dans mes veines et artères jusqu'à irriguer le moindre vaisseau sanguin. Du coin de l'œil, j'observai fuir à mon approche les rares êtres vivants présents à une telle profondeur : avec moi tombait au cœur des abysses océaniques un silence quasi surnaturel car parfait. Finalement, je sentis s'esquisser sous mon corps le curieux vallonnement des fonds marins et la rugosité des roches brunes qui les composent. Si je devais ne jamais refaire surface, la Terre m'offrait ce qu'elle avait de plus personnel comme tombeau. A l'instant précis où surgis cette pensée, mes yeux se fixèrent sur le plus splendide paysage qu'il m'aie jamais été donné d'observer, et qu'il aie sans doute jamais été donné à un individu moderne d'imaginer. Dans ce décors plus ancien qu'ancien, le sable n'occupait plus qu'une place secondaire : la pierre le remplaçait de son éclat terne et suranné. Accrochées à elle comme à une terre chérie, quelques parcelles de mousses égayaient ici et là l'austérité apparente du lieu et rayonnaient d'un vert tendre, quasi rassurant. On aurait dit qu'en mon honneur, cet endroit inconnu reprenait vie et se paraît de ses plus beaux atours.

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