Le chant de la forêt

Luka

  Le lendemain, au village du peuple des arbres, un jeune garçon se réveilla. Il se prénomme Luka. Il a honte de son existence, car il se reproche la perte de pouvoir de son peuple. Tout le monde a beau lui dire que ce n'était pas de sa faute, il est brisé à l'intérieur. Il possède, avec sa famille, une cabane un peu à l'écart du village. Luka s'est toujours dit que, une fois sa majorité obtenue, il quitterai le village, pour vivre loin de tout, en ermite. Il s'était déjà imaginé sa vie future ; seul, à l'écart du moindre être humain, subsistant grâce à la nature. Il s'est même imaginé finir sa vie seul, dans une grotte, oublié de tous. Il trouve ça à la fois beau et triste. Il veut vivre en ermitage pas seulement car il se croit responsable de la tragédie d'il y a quatorze ans. Il se rendait aussi responsable de la mort de sa jeune sœur, Etalia.

  Un chaud jour d'été, lorsque Luka avait douze ans et sa sœur onze, ils s'étaient rendus au cœur de la forêt, assez loin du village. Ils avaient découvert une rivière paisible qui regorgeait de poissons aux couleurs chatoyantes. Des papillons voletaient paresseusement, battant de leurs ailes bleues fines comme du papier. Etalia avait déroulé la couverture qu'ils avaient emporté, et s'était allongée dessus. Elle avait prit un court bain de soleil, les bras étendus par dessus sa tête, avant que son frère n'eut la bonne idée de l'arroser avec l'eau de la rivière. Sa sœur s'était levée d'un bond, la tête dégoulinant d'eau et les cheveux collés à son crâne. « Tu vas le regretter ! » avait elle lancé. Son frère avait couru vers la rivière, mais sa sœur l'avait rattrapé. Elle avait serré ses bras autour de la taille de Luka, pour l'empêcher de s'échapper. Dans un grand éclat de rire, elle avait jeté son frère dans l'eau. Il avait crié, et avait plongé malgré lui dans la rivière dans un grand bruit d'éclaboussures qui avait fait fuir les poissons. Il était resté quelques secondes sous l'eau, puis avait émergé, secouant sa tête en éclaboussant les alentours, sa sœur y comprit, de grosses gouttelettes d'eau. Ils s'étaient regardés un court instant, puis avaient éclaté de rire. Luka était sorti de l'eau et  s'était étendu sur une grosse pierre plate afin que lui et ses affaires sèchent avec la chaleur du soleil. Ils profitèrent de la douce brise qui soufflait à travers les branches. 

  Il avait fallu environ une demi-heure pour que les poissons reviennent après le plongeon de Luka. Pendant ce temps là, frère et sœur avait installé leur campement ; ils avaient sorti des baies qu'ils avaient emporté, et avaient déchargé leur sacs. Etalia avait fait un feu, et Luka avait trouvé des tubercules comestibles à côté de la rivière, et avait cuire le tout. Ils avaient mangé leur petit festin en bavardant gaiement, puis s'étaient écroulés, rassasiés. Ils s'étaient reposés, admirant ce décor idyllique, presque irréel.

  Au bout d'un petit moment, ils s'étaient redressés et étaient allés se baigner. L'eau était tiède et claire, ce qui était vraiment agréable. Ils avaient barbotés un moment, les bras et les jambes écartés, dans une position semblable à une étoile de mer.

  Etalia avait décidé de suivre le cours d'eau pour voir où il menait. Luka l'avait suivit, quelque peu en retrait. Ils avaient nagé ainsi un bon moment. Comme Luka n'était pas un très bon nageur, il était remonté sur la rive. Le ciel commençait à s'assombrir.

« Etalia, il est temps de rentrer. On a laissé nos affaires dans la clairière, et je n'ai pas envie que quelqu'un les trouve et les vole. Nous ne savons même pas où nous mènera cette rivière ! » avait dit Luka.
« Relax Luka, il ne va rien nous arriver ! Il n'y a personne sauf nous ici. Et nos parents pensent sûrement qu'on est en sécurité et qu'on dormira dans la forêt ! Il n'est jamais arrivé de mal à personne dans la forêt, tu le sais aussi bien que moi. » avait répliqué sa sœur.                                       « Je sais Etalia, mais... je n'aime pas cette partie de la forêt. Les arbres sont si grands et touffus qu'aucune lumière ne passe à travers. On entendrai rien si quelqu'un venait nous attaquer ! "       « De qui parles-tu ? Il n'y a rien et personne ! Allez, profitons encore un peu de ce bon temps passé entre frères et sœurs ! » l'avait taquiné Etalia.                                                                                            «  Rien qu'un peu ! » avait accepté Luka.

  Luka avait continué de marcher sur la rive, et Etalia de nager dans l'eau. Au bout d'un moment, elle fut fatiguée de nager, et voulu sortir de l'eau. Tout ce passa alors trop vite. Elle était vraiment épuisée. Le courant était trop fort, et tout bascula d'un coup. Elle avait supplié son frère de l'aider, ce qu'il avait tenté de faire, mais elle lâcha brusquement la rive et fut emportée par le courant.
« ETALIA, NON ! » avait hurlé Luka.
  Il avait tenté de la rattraper, mais le courant était plus fort que jamais. Il avait charrié sa sœur toujours plus loin de lui. Etalia avait gardé tant bien que mal la tête hors de l'eau, mais elle avait suffoqué et avait été entraînée dans les profondeurs de la rivière. Elle s'était noyée sous les yeux de son frère impuissant, ses longs cheveux blancs à peine visibles sous l'eau.

  Luka s'était effondré, pleurant toutes les larmes de son corps. Il s'en voulait énormément.

  C'est ainsi qu'on l'avait retrouvé, le lendemain après-midi, recroquevillé sur lui même. Ses parents, inquiets, avait fait appel aux villageois pour les aider à retrouver leurs enfants. Ils avaient trouvé en premier leurs affaires abandonnées dans la clairière, et avaient ainsi remonté la rivière. C'est là que Izali et Zeno, les parents de Luka et d' Etalia, avaient retrouvé leur fils en pleurs. Difficilement, la voix enrouée à force d'avoir pleuré et hurlé le nom de sa sœur disparue, Luka avait raconté son histoire. Parents et enfant s'étaient effondrés, terrassés par la perte d'un être cher. Saroma et les habitants du village les avaient accompagné sur le voyage du retour. Ils n'avaient pas retrouvé le corps d' Etalia. Le courant l'avait emportée trop loin, pensaient-ils. Silencieusement, pleurant Etalia, ils étaient rentrés au village. En plus de se considérer comme une malédiction, Luka se considérait maintenant comme un tueur.