Il faisait nuit noire. Il faisait froid. Ses pieds étaient douloureux.
Elle était pieds nus dans l'herbe givrée, et marchait droit devant elle. Elle ne savait pas pourquoi, elle ne savait pas encore. Ses poumons la brûlaient - elle avait si froid. Sa robe produisait de petits bruits étouffés là où chaque pas faisait craquer la terre. Elle suivait les étoiles, la lune.
On l'appelait, on l'attirait. Et plus elle approchait de son but, plus vite elle marchait. Elle courait presque. Elle laissait derrière elle la forêt, les animaux, la vie. Elle sentit des larmes lui monter aux yeux sous les assauts du vent glacé. Elle se mit à courir.
Et soudain, tout s'arrêta. Tout se figea. Elle était arrivée. Elle déglutit, chercha du regarde ce qui lui avait demandé de venir. Rien.
Rien à part ce vide, cette nuit si sombre que la lune n'arrivait pas à éclaircir. Il n'y avait ni nuage ni bruit. Le vent avait cessé de souffler. Et elle avait froid. La petite fille, frêle, perdue, se sentit si seule.
- Papa... murmura-t-elle. J'ai peur...
Mais personne ne lui répondit. Personne à part le silence. Silence cruel, silence hautain. Seul lui a toujours répondu à ses appels.
Elle tremblait, mais n'avait plus peur. Elle tremblait de froid. Non pas de ce froid nocturne, mais du froid qui s'engouffrait dans son âme. La tristesse s'était transformée en rage, la solitude en arme. Elle ferma les yeux.
Quand elle les ouvrit, la tête tournée vers le ciel, elle vit les lambeaux déchirés de l'espace. De longues lames blanchâtres, éblouissantes, lacèraient la nuit et les étoiles. Elle eut le souffle coupé par ce spectacle surréaliste. Elle n'eut plus froid, elle n'eut plus peur.
- Thanatos... souffla une voix.
Elle n'était plus seule. La voix l'appelait de nouveau, si douce, si tentante, si protectrice...
- Viens là, mon enfant.
Etait-ce sa mère ? Non, elle était bien plus encore. Ses yeux se posèrent sur le monstre face à elle. Vague forme noire, plus sombre que cette nuit, qui s'évaporait et se reformait continuellement sous ses yeux. Hypnotisée par la créature, la petite la laissa glisser ce qui ressemblait à un bras dans ses cheveux.
- Plus jamais tu ne seras seule. Là, là... Ce cauchemar est fini....
Soulagée, elle se laissa aller contre la forme ténébreuse. Elle était la seule à lui avoir offert ces mots. Qui d'autre avant les avait prononcés ? Thanatos, pour se rassurer, seule sur son lit, terrifiée par la nuit.
Gelée jusqu'aux tréfonds de son coeur, souriante de bonheur, elle recula, et regarda son sauveur.
- Merci...
Le bras vint caresser son visage avec une douceur inattendue pour un tel être.
- N'as-tu pas peur ?
- Je n'ai plus peur, tu es là.
Elle se laissa entourer, cajolée par les ombres environnantes, se sentant enfin chez elle. Ses mains ne saisissaient rien, ses yeux étaient perdus, son corps frôlé par mille et un contacts. Mise à nue, elle regardait les yeux brumeux de la chose. Un accord tacite se faisait. Elle consentit. Ses paupières se fermèrent lentement, sa joue se posa délicatement sur le bras glacé, et elle se laissa engloutir.- Thanatos, tu es prête.
- Non, cela me tuerait.
- T'ai-je déjà blessée ?
- Non... Prends ma vue.
Chaque sacrifice devient plus fort, plus douloureux. Plus atroce, plus froid. Mais chaque fois elle gagne en puissance. Chaque fois elle grandit. Chaque fois elle se venge.
Ses yeux la brûlent horriblement, à tel point qu'elle tente de se les arracher. Elle hurle, s'effondre au sol, pleure, supplie.
- Arrête... Arrête... Arrête ! gémit-elle entre chaque cri.
- Je ne le peux....
Le premier sacrifice a été sa croissance. Elle a cessé de grandir, et elle avait cru se faire enfermer dans une boîte, un cercueil. La seconde fois elle a perdu son souffle, elle avait cru qu'on lui plantait des clous dans les poumons. La troisième fois a été le tour de sa force, elle avait cru que le monde s'abattait sur ses épaules, qu'elle n'avait rien mangé depuis des semaines. Chaque sacrifice est plus douloureux, mais elle continue. La réponse est si belle ; la puissance afflue dans ses veines, son corps lui paraît plus insignifiant et son esprit plus fort. Elle ne voit plus, mais quelle importance ? Elle essuie son visage, se tient à l'arbre à sa droite.
- Merci.
Elle laisse son pouvoir sortir, grossir, grandir, envelopper le monde autour d'elle. Elle se sent bien, elle n'est plus seule. Grâce à Lui. Il la rend meilleure, plus efficace, il lui apprend ce qu'elle doit apprendre.
- Père... Tu verras...
Une simple demi-déesse détrônera son père.Elle l'aura fait. Elle aura réussi. Plus rien ne la retiendra à la vie. "Je suis si fier de toi..." lui aura-t-Il soufflé à l'oreille. Elle l'aura tué, elle aura gagné. "Excuse-moi, mon frère." Il aura fallu qu'elle le sacrifie. Qu'elle sacrifie ce à quoi elle tenait le plus au monde.
- Vas-y, fais-le...
Elle ne sera plus que rage, elle ne sera plus que douleur. Elle n'entendra plus rien, aucun plaisir ne l'atteindra, ses yeux ne distingueront plus rien, son coeur sera pétrifié.
- Tu as réussi, finis ce que tu as commencé. Ta souffrance partira.
Elle regrettera, elle regrettera cette nuit, ses sacrifices, son frère. Elle s'effondrera au sol, son pouvoir lui échappera. Elle sentira les ténèbres envahir l'espace, quitter son corps, son esprit, son âme. Il s'en ira.
- Merci ! se moquera-t-Il.
Elle aura perdu. Elle se recroquevillera. Le monde sera plongé dans des ténèbres éternels. Elle ne sera plus que regrets.
- Pardon... murmurera-t-elle de sa voix brisée par le silence et la solitude.
Thanatos verra enfin. Elle n'aura rien construit. Elle n'aura que détruit.
VOUS LISEZ
Petites histoires d'âmes
Short StoryVoguez d'une histoire à une autre à chaque chapitre, suivez un fragment de vie, l'éclat d'un rire, et effleurez des personnages à peine ébauchés. Quelques mots pour décrire un visage, saisir quelques pensées et se questionner. Ne vous attendez pas...