Mer Troublée

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     Le décompte a commencé. DIX. Loin du large, mon corps se laisse porter par le mouvement des vagues. Bien que l'eau soit agitée, je me sens légère et paisible comme si je flottais dans les airs. Le mouvement est fluide, doux mais également puissant comme un premier baiser, celui qui démarre une nouvelle histoire. C'est tendre. Ces baisers, ces caresses, ces premiers temps où le corps frissonne et réclame l'autre. Le début d'une histoire, lorsque nous avons l'impression de n'être qu'un à deux. Mon corps flotte toujours, porté par le courant, l'eau continue de me soutenir. Ma respiration est calme, je me sens paisible.

     NEUF. Les mois passent, l'amour est toujours présent.Quelque fois la mer s'agite mais rien de très important, je suis toujours soutenue. Des sourires, des fous rires avec l'être aimé,l'âme sœur comme certains le diraient. 

     HUIT. L'eau est mon élément,mon quotidien. J'ai besoin de lui pour me sentir totalement en paix.Je laisse le sentiment m'immerger et mon corps se retrouve submergé sous l'eau. Mais je vais bien, l'eau est chaude et frôle ma peau, je me laisse aller à cette douce profondeur. 

     SEPT. Même sous la surface je respire toujours. Ce n'est pas toujours facile lorsque les vagues de la mer s'agrandissent et quand viennent les tempêtes,mais je reste là. Même si elles sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus puissantes, j'attends la fin de cette agitation, je sais qu'elle viendra. 

     SIX. Le premier gros rocher rencontré dans cette gigantesque étendue d'eau. La première gifle. Mais ce n'est rien n'est-ce pas ? Ce n'était qu'un coup de colère et ça n'arrivera plus. N'est-ce pas ? Je ne vois plus le large, je suis seule dans cette mer devenue parfois incontrôlable. Je n'y vois que très peu de roches, c'est plutôt une bonne nouvelle. Et puis,elles ne sont pas si grosses. 

     CINQ. La mer veut m'attirer plus profondément encore mais je n'en n'ai pas envie. Je ne veux pas aller plus loin. Elle ne m'attire pas vers le fond, elle ne m'y force pas, mais je culpabilise de toujours refuser. Peut être devrais-je tout de même le faire ? Et puis... Après tout, je l'aime.

     QUATRE. J'y suis allée. Je suis allée plus profondément encore. Il avait l'air heureux. Une première fois, c'est quelque chose de beau,surtout lorsque nous le faisons avec l'être aimé. Sentir son corps,nu contre le nôtre. Le sentir en nous. Comme si les deux corps ne faisaient plus qu'un, comme deux cœurs qui battent à l'unisson.C'est beau n'est-ce pas ? Tout cet amour. 

     TROIS. La mer m'a déposée sur le large. C'est la fin d'une histoire. Une rupture.Cassante. Brutale. Même si je ne fais plus partie de cette histoire,que la mer n'est plus ma terre, mon cœur est toujours empli de cette eau. Je ne veux pas partir de cette étendue bleuté. Je ne veux pas qu'il parte. S'il vous plaît aidez moi, c'est si douloureux. 

     DEUX.Les mois passent, la douleur s'en va. Je sais de nouveau comment marcher et cela fait bien longtemps que je n'ai pas nagé. L'eau a quitté peu à peu mon cœur, même si je m'en souviens toujours. Ça restera un beau souvenir, une belle aventure. 

     UN. Une gifle. Encore.Mais pas physique, non. Je n'ai pas heurté l'écueil une énième fois. Je me suis menti pendant si longtemps... Le voyage dans cette mer troublée était loin d'être paisible. Peut être au début,mais pas la fin. Je me rend compte que les rochers, bien qu'ils n'étaient pas très gros et pas très nombreux, m'ont marqué.Dois-je me considérer comme toute ces autres femmes qui ont rencontré les même soucis que moi mais dont les vagues et le choc étaient beaucoup plus puissants, voire même dangereux ? Les roches étaient plutôt petites, alors dois-je considérer que je suis comme ces femmes ? Que j'ai vécu la même chose ? Je n'en sais rien... Je suis faible. Certaines personnes ont vécu bien pire et pourtant, ces rochers j'y pense encore aujourd'hui. 

     Ça m'a marqué. Et ces profondeurs, je ne voulais pas y aller. J'aimais cette mer. Je l'aimais serte, mais je n'étais pas vraiment prête.Je pensais avoir franchis le cap par amour mais c'est faux. Même si je ne peux nier les sentiments que j'avais envers lui à cette époque, je ne l'ai pas fais par amour, mais plutôt par culpabilité.Même si l'eau ne me traînait pas de force vers le fond, elle m'y attirait doucement. La pression était grande. J'ai finis par me convaincre que c'était par amour mais c'est faux. La pression et la culpabilité étaient plus fortes, plus lourdes et m'ont amenés dans les profondeurs. Je pensais que j'en avais envie, mais je me trompais. Lorsque je me dévêtis maintenant, il m'arrive de ressentir comme un poids. Je n'ose parfois plus toucher ma propre peau. Même si ces moments sont rares, ils sont tout de même là.

     Comment qualifier ça ? Je n'ai pas refusé. J'étais consentante à ce moment là. Même si je ne suis pas sûre que ce mot soit ici exact. Je n'irai pas jusqu'à qualifier ça d'un...Bref. Je sais que certaines personnes le qualifieraient comme tel mais c'est également en partie de ma faute. Si je n'avais pas été si faible le poids de la culpabilité aurait été beaucoup moins lourd et je ne me serais pas laissée couler au fond de ces eaux plus sombres. J'aurait donné plus de force à mes bras pour me remonter.

     Au final, en y repensant bien, sous l'eau je n'étais pas paisible,la mer n'était pas douce et chaude. Elle était froide. Je n'entendais plus rien de ce qui se passait autour. Je n'entendais que mon cœur mais je ne m'entendais pas moi même. Je ne respirais plus,mais mon amour était trop grand pour se dire que ça ne s'arrangerait pas. J'espérais. Je ne pouvais faire que ça. Le soleil était hors de porté, la chaleur était loin. Il en était de même pour le large, je n'essayais même pas de le rejoindre. L'eau avait troublé ma vue. 

     Maintenant j'en suis sortie et je vois clair,je respire de grande bouffées d'air. Je me sens en vie. Je pense que cette histoire fera toujours partie de moi. Elle m'a marqué, certes pas de manière positive, mais c'est mon histoire. Je dois maintenant vivre avec. J'aurai certainement des moments de peur et de faiblesse en y repensant, mais je vivrais avec, je l'ai accepté. Une chose est sûre, je ne veux plus nager dans une eau froide, qui m'emmènera loin du large. Je ne veux plus nager dans une mer troublée.  

Mer TroubléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant