Chapitre 2 : Placards vides

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Mallory avait ouvert tous les placards de la cuisine au moins trois fois avant de se rendre à l'évidence. Tout avait disparu. Il n'en croyait pas ses yeux. La semaine passée, il avait fait des provisions pour le mois à venir, pour que sa famille survive à son départ à l'université, et voilà qu'elles s'étaient volatilisées.

— Liam ! hurla-t-il à travers la pièce pour se faire entendre de son frère encore en train de dormir à l'étage.

Sans attendre, il courut jusqu'à l'escalier, grimpa les marches quatre à quatre et déboula dans la chambre dortoir encore dans l'obscurité.

— Liam, réveille-toi. Où est passée la bouffe ?

Son intervention fut accueillie par un concert de protestations en canon. Cinq jeunes hommes dormaient dans cette pièce dont le sol était entièrement recouvert de matelas et de couvertures. Le clan Bellwether presque au complet. Depuis huit mois, ils avaient un peu plus de place pour dormir, puisque leur aîné, Callum, était gracieusement hébergé dans une des cellules de la prison de Cardiff pour trafic d'armes.

— Mal, sérieux, arrête de brailler.

— Liam, bouge tes fesses et descends ou j'allume la lumière.

Les protestations reprirent de plus belle.

— Liam, fais ce qu'il te dit, marmonna Jayden.

— Liam, dégage, grogna Dominic.

Affligé par la voix du peuple, le jeune homme n'eut d'autres choix que de s'extirper des couvertures pour sortir de la pièce en refermant précautionneusement la porte derrière lui. Dans l'intervalle, son aîné était redescendu dans la cuisine pour inspecter une énième fois les placards. En voyant entrer son frère qui ne partageait aucun trait physique avec lui – leur mère était notoirement connue pour changer de mecs tous les soirs –, Mallory désigna l'emplacement vide dans le placard au-dessus de l'évier.

— Où sont les provisions que j'ai ramenées hier ?

— Les provisions ?

Il lui fallut un moment pour sortir de son état de somnolence.

— Oui, les provisions. Tu te souviens ? Hier après-midi, on est allé faire les courses, toi, Mickey et moi. On a ramené à manger pour les quatre prochaines semaines et le moindre paquet de pâtes a disparu. Alors, je répète, elles sont où ?!

— Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ? Tu vois bien que je dormais, merde. Je les ai pas piquées. J'en aurais foutu quoi, d'abord ?

Mallory se pinça l'arête du nez, comme à chaque fois qu'il devait puiser dans ses maigres réserves de patience.

Qui lui avait fichu une famille pareille ? Chez les Bellwether, Mallory était un ovni. Il était né avec un QI extrêmement élevé et, par miracle, il avait toujours réussi à le mettre à profit, malgré son quotidien difficile. Dans sa tête, tout bougeait très vite et il avait l'impression qu'autour de lui le monde marchait au ralenti. Ses professeurs avaient tout de suite remarqué qu'il ne serait pas un délinquant comme son imbécile de grand frère, Callum. Du moins pas s'ils pouvaient l'aider à accéder à des études supérieures. Mallory avait eu de la chance d'avoir terminé son lycée au moment où un directeur consciencieux y officiait. L'homme l'avait pris sous son aile, lui avait montré comment faire une demande de bourse pour l'université et lui avait même écrit une lettre de recommandation. Grâce à lui, il avait été accepté dans une prestigieuse université de Londres. Pour un petit gars des banlieues de Cardiff, c'était quelque chose.

Quant à ses frères, ce n'était pas qu'ils étaient idiots mais disons simplement qu'ils avaient moins de jugeote. Il y avait d'abord Callum, l'aîné, qui n'avait jamais fait un seul bon choix dans sa vie et qui jouait encore le bad boy dans une cellule. Au moins, lui avait à manger. Mallory était né trois ans après, puis ça avait été le tour de Liam, quatre ans plus tard. Liam était aussi blond que Mallory était roux et Callum brun. Les voisins ne se faisaient pas vraiment d'illusions. Avec les fréquentations d'Elaine Bellwether, les garçons ne devaient pas avoir le même père. D'ailleurs, ils n'en avaient jamais vu un seul.

Les naissances s'étaient ensuite enchaînées avec Dominic, Jayden, Dylan et le petit Michael. Mickey avait une bouille ronde et une épaisse chevelure frisée qui lui donnait l'air d'un enfant de chœur. Dylan était mince comme un fil de fer et avait une mauvaise vue qu'il essayait de cacher à sa fratrie. Jayden avait une jolie peau couleur café au lait et il était du genre silencieux, la tête toujours plongée dans un livre. Enfin, Dominic était une armoire à glace que l'on croyait toujours bien plus vieux que son âge, ce qui l'arrangeait la plupart du temps.

Souvent, les Bellwether se tapaient mutuellement sur le système. Souvent, ils se chamaillaient pour des broutilles. Mais qu'on ne s'avise pas de chercher des noises à l'un d'eux, ou c'était de tout le clan dont on devrait craindre les représailles. Pour eux, rien n'était plus précieux que la famille. Après tout, c'était la seule chose qu'ils avaient.

— T'as appelé, Hell ? grogna Dominic quand il débarqua au rez-de-chaussée en se grattant la nuque et en baillant sans mettre la main devant la bouche.

Aucun d'eux n'appelait leur mère « maman ». Elle ne faisait rien pour mériter ce statut. Quand Elaine Bellwether était une femme encore décente 50 % du temps, Callum avait appris à ses petits frères à distinguer les moments où elle était Elaine, leur mère, et les moments où elle n'était plus que Hell, l'enfer, cette tornade qui ne savait que causer des problèmes et qui arrivait à peine ensuite à les résoudre. Au fil du temps, Elaine avait fini par s'effacer complètement pour ne laisser plus que Hell, la responsable de tous leurs maux. La meilleure preuve était que ses enfants la pensaient actuellement responsable du vol de la nourriture.

Mallory poussa un soupir et extirpa son téléphone portable de sa poche arrière. Leur mère décrocha au bout du troisième appel.

— Mal ! Mon bébé... Ça va ?

— Où sont les provisions que j'ai acheté pour la maison la semaine dernière ?

— Les provisions..., répéta-t-elle en riant. Tu parles bien, mon fils. C'est bien, je suis fière de toi.

— T'es encore défoncée ?

Un nouveau ricanement répondit parfaitement à sa question. Honnêtement, Mallory se fichait que sa mère soit vivante ou morte. La seule raison qu'il avait de toujours s'assurer qu'elle respirait encore à la fin de la journée, c'était parce qu'il ne voulait pas que les services sociaux viennent séparer leur fratrie.

— Hell, la bouffe, elle est où ? Brailla Dominic depuis l'autre bout de la cuisine, achevant de réveiller Jayden et Dylan à l'étage.

— C'est mon Dom', ça. Passe-le-moi, bébé.

— Elaine, s'il te plaît, fais un effort. J'essaye d'être calme là. Y a plus rien dans les placards. C'est passé où ? C'est toi qui as pris la nourriture ? insista Mallory en soupirant.

— Relax, mon ange. J'ai juste pris quelques trucs à emmener chez Daniel. On a fait un genre de fête. Fallait bien donner à bouffer aux invités.

Mallory ferma ses beaux yeux verts quelques secondes en prenant une profonde inspiration, puis il demanda :

— Est-ce qu'il reste quelque chose ?

— Hm... Attends... Y a des chips. Tu veux des chips, mon cœur ? Et Mickey, il veut des chips ? Passe-moi mon bébé. Je veux lui...

Il raccrocha. 

MALLORY  [Les Hommes de Cardiff #1]  -  Sous contrat d'éditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant