I : PORTEBLANCHE

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La vapeur épaisse, qui s'élevait des bains, venait s'enrouler paresseusement autour des hautes colonnades de pierres blanches, comme autant de lents serpents aux anneaux traîtres. Et l'encens – « l'encens ! », pensa, agacé, Venceslas Irwinel – faisait tourner les têtes de ses fumerolles soutenues qui prenaient au cœur. « La faute au satané Renard », se dit Irwinel, « qui d'autre sait mieux que lui que je hais ces odeurs ».

Les immenses bains de Porteblanche – la citadelle des rois qui surplombait Ravan – propriétés du riche Venceslas Irwinel, attiraient chaque jour des cohortes de vieux nobles aux airs pathétiques, tous plus lents et laids les uns que les autres. Par groupuscules, ils se pressaient dans l'eau chaude dans l'épais nuage de vapeur, persuadés d'être à l'abris des oreilles indiscrètes qui pullulaient dans la citadelle ; mais des oreilles, il y en avait nombre chez Irwinel, à qui rien n'échappait. Les larbins ennuques, vêtus de blanc, silencieux et insoupçonnables, rôdaient parmis les nobles, attentifs au moindre son ; chaque mot, chaque geste, était rapporté à Irwinel.

Mais l'encens – l'encens ! –, il ne pouvait y avoir que Sam, l'habile passe-partout silencieux aux yeux étirés, pour être venu en brûler ; et, à l'origine de tous les larcins du garçon, le Renard.

Venceslas Irwinel, poussant un soupir las, sortit lentement de l'eau chaude, hissant son large corps sur les dalles froides qui bordaient les bassins. Le jour déclinait ; tout en se drapant dans un tissu jaune, il s'approcha de l'arcade de pierre qui ouvrait sur la citadelle, et la baie de Ravan, en contrebas. Un vent frais s'engouffrait sous l'arche, porteurs de parfums d'océan ; sous le joug d'un été qui s'éternisait, l'automne se faisait tardif, le temps était bon et le soleil d'or.

Venceslas Irwinel fut heureux de respirer la brise de mer, après les relents de l'encens brûlé ; il se promit de faire payer Balery Barthenov, celui que tous nommaient le Renard, pour ce larcin. Chose ardue, car Balery avait nombre d'amis à la cour – aimé de tous pour son esprit vif et ses légendes rocambolesques. Lord Irwinel était bien seul à se méfier de son air malicieux.

Ironie du sort, malgré leurs différents, les deux hommes vivaient à quelques pas l'un de l'autre, dans l'aile ouest du Fort-de-Lance ; là où, chaque soir, un flot ardent de lumière crépusculaire déferlait – non pas dans un grondement fracassant, mais bien par la douce musique des cloches de l'icclisien de Ravan, que la brise faisait chanter.

Les bains, ceints d'un passage abrité par des colonnades légères, soutenaient toute la citadelle, construits sur le champ de Jour ; au milieu des grands arbres touffus aux fruits juteux, des jardins fleuris aux mille couleurs, des rosiers grimpants, des fontaines, des riches pavillons, des statues, des vergers et de la grenaderie, où les enfants venaient jouer, aux milieux des bons parfums ; à l'ombre du soleil brûlant, se pousser et rouler sur les dalles fraîches jusque sous les branches croulantes de fruits dorés, au nez et à la barbe des mestres sévères. Sur la roche de Sémi, joyau du palais de Viseblanche, plus éclatant encore que la tour étincelante du Donjon d'Or, l'icclisien de Ravan surplombait la citadelle de ses arabesques envolées, défiant le ciel tout puissant.

Le plus effronté de tous les sales gamins de Porteblanche était le jeune Ivan Seralfin, fils du roi Ereigard Seralfin et de sa jeune épouse de Belmonts, la belle Mebd ; aussi roux que sa mère, les yeux brillants et le nez retroussé, le gosse allait déjà sur son neuvième hiver. Il rôdait sans cesse dans les jardins, pouffant de rire ; mais au contraire du jeune Sam l'habile, il avait prit la fâcheuse habitude de marcher avec autant de délicatesse qu'un ours, tapant du pied à chaque pas.

La grenaderie, tonelle parfumée où se pressaient les grandes dames et les grands lords, face à la baie bruissante, ouvrait ses bras de pierre blanche à l'océan. Des statues couvertes de rosiers en gardait les arcades couvertes de moulures.

La Chevauchée des MödigēbarnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant