2_ Jungle sensuelle

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Derrière la porte qui lui faisait face la soirée suivait son cours, une euphorie constante semblait envahir la salle. Les basses de la musique beaucoup trop forte faisaient trembler cette porte pendant que la main de Lucie s'approchait le plus lentement qu'elle le pouvait de la poignée. Elle l'ouvrit doucement, comme si elle craignait de faire un bruit qui puisse être entendu par l'ensemble de la salle gagnée par la fièvre de la soirée. Tel un fantôme elle se glissa dans cette marée humaine, comme si elle essayait de passer entre les spots de lumière tamisée qui illuminaient à intervalles réguliers la foule occupées à se rincer l'œil sur les corps brillants donnés en expositions. Tous les regards étaient occupés à déshabiller mentalement une ou plusieurs jeunes femmes qui se déplaçaient au milieu de la foule.

Elle savait ce qu'elle devait faire. Après tout elle n'en était pas à son premier soir, mais c'était toujours la même appréhension qui lui nouait le ventre. Elle se ressaisit bien vite, il ne fallait pas que son anxiété puisse être perçue par les clients. Elle acheva totalement sa transformation en oiseau nocturne lorsqu'elle pu enfermer sa peur dans une petite cage au fond de son cœur puis elle commença à scruter la foule à la recherche de clients isolés en quête de ses services. Les filles qui dansaient sur la scène quelques minutes plus tôt étaient descendues au milieu de leurs spectateurs et passaient d'hommes en hommes cueillant quelques fois un billet plus où moins gros qu'on leur tendait tout en frôlant délicatement les épaules des hommes qui ne s'étaient pas encore laissés convaincre par la volupté de leurs charmes. Même à quelques mètres Lucie parvenait à deviner la puissance de leurs parfums qui bien souvent achevaient de faire succomber les hommes.

Elle se joignit à son tour à la foule, se laissant porter par la douce valse des corps. Parmi les odeurs de cigarettes elle parvenait à sentir les parfums de quelques hommes forts bien habillés qu'on retrouvait régulièrement dans ce genre d'endroit. Mais la foule devant la scène n'était pas son terrain de chasse, elle n'était pas danseuse ce soir. Elle se dirigea donc vers le bar où la majorité des consommateurs étaient déjà en bonne compagnie. Quelques mots glissés à l'oreille d'une des filles présentes et voilà deux sièges de libres. Un homme entre et s'assied. Avant même qu'il n'ai enlevé sa veste ses yeux traînaient déjà sur les courbes de Lucie bien mises en valeurs par sa jolie petite robe noire. Elle aimait porter cette couleur, ça lui donnait l'illusion de pouvoir se cacher au milieu de cette foule. Les regards ne trompaient pas, elle savait ce qu'elle devait faire. Elle donna un dernier coup de clé dans la serrure de la cage qui retenait sa peur et s'approcha de cet homme qui la regardait avec insistance, pour le plus grand bonheur de celui-ci. La froideur extérieure de Lucie lui conférait un petit succès auprès de certains hommes qui fréquentaient ce bar, ils avaient l'impression d'arriver à réellement conquérir le cœur d'une jeune femme.

Elle s'approcha de l'homme et passa ses bras autours de ses épaules comme si elle saluait un ami de longue date puis s'assis sur le siège voisin pour tenter d'entamer une conversation qui serait, elle le savait, lourde en sous entendus. Pendant que ce petit jeu de séduction rapide se mettait en place un autre homme entra, s'arrêta à l'entrée et se hissa sur la pointe des pieds pour pouvoir contempler tous ses corps qui s'amassaient d'un regard presque inquiet avant de s'arrêter sur le dos de Lucie qui était désormais plus proche de son client que les chaises le permettaient. Pourtant il ne se dirigea pas vers elle et préféra s'assoir sur un tabouret un peu plus loin. Il commanda une bière et continua de l'observer. Ce regard était différent de celui qu'on portait habituellement sur la jeune femme entre ces murs, celui-ci ne la regardait pas comme un objet destiné à assouvir les désirs. Un regard humain perdu dans cette usine à plaisir. Le plaisir est humain pourtant.

Le contrat était passé, elle se leva de sa chaise tenant la main de son client et le guida doucement au milieu de la foule jusqu'à l'escalier de service avec toujours cet étrange regard fixé au milieu du dos.

Marc ne quittais pas la jeune femme des yeux, il avait passé tant de temps à la chercher qu'il ne pouvait pas se permettre de la laisser s'échapper. Il la laissa passer devant lui la main dans la main de son client avant de se lever pour la suivre dans l'étage, il voulait connaitre la chambre où elle officiait. Au moment où il s'apprêtait à se fondre à son tour dans la masse compacte de corps humains le barman l'appela et déposa sa bière à la place où il devrait se trouver. Il remercia précipitamment l'homme d'un geste confus de la main et se retourna aussi vite que possible. Il fouilla chaque recoin de la salle des yeux à la recherche de la femme qu'il avait perdu du regard. Enfin il s'arrêta sur un bras qui s'accrochait à la rampe des escaliers comme à une bouée de sauvetage pour ne pas se noyer dans la marée humaine qui essayait de l'avaler. Il tenta de la rejoindre.

L'ambiance changeait radicalement lorsqu'on commençait la montée des escaliers de bois. Le calme soudain qui y régnait donnait l'impression de se trouver dans un sas avant une autre partie à la fonction bien différente de celle qu'il venait de quitter. Il reprit l'ascension des marches grinçantes, c'était la première fois qu'il faisait ce trajet seul. Alors qu'il atteignait la moitié du petit escalier en colimaçon le grincement des marches l'avertit que quelqu'un montait derrière lui, et il montait vite. Au lieu de monter plus vite que raison pour rejoindre l'étage des chambres il se retourna et fit face à l'homme qui le suivait. Le regard de glace, sa grande carrure et son air fermé lui fit vite comprendre ses intentions. Le patron n'appréciait guère qu'un homme seul monte dans l'étage où les filles travaillaient.

La porte se refermait sur Lucie et l'homme qui s'allongea presque aussitôt sur le lit, il semblait pressé. Un dernier coup d'œil par la fenêtre pour se donner du courage et elle alla le rejoindre.

Dehors il neigeait, l'oiseau de nuit avait peur de se geler les ailes.   

Une odeur de cigarette et de tarte aux pommesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant