La Lionne et l'Hyène

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La lionne avait mis bas neuf petits. Un jour, à son retour de la chasse, elle n'en trouva plus que huit: l'hyène était venue lui en enlever un.
Le lendemain, un autre lionceau avait disparu, le surlendemain, un troisième manquait. Le quatrième jour, au moment de partir pour la chasse, la lionne dit à ses petits: « Je voudrais bien savoir qui est venu ici enlever vos frères; aussi vais-je me cacher non loin de vous. Quand il se présentera, criez tous ensemble pour m'avertir. »
Elle alla s'embusquer et n'eut pas à attendre longtemps l'arrivée de l'hyène. La lionne accourut, rapide comme une flèche, aux cris de ses petits. Elle bondit sur le ravisseur et l'amputa des quatre membres. Puis elle la laissa ainsi mutilée, se promettant de l'achever à son retour.
L'hyène se traîna sur ses moignons jusqu'à son terrier où elle trouva ses sujets réunis, car elle commandait à la brousse.
En revenant de la chasse, la lionne chercha vainement l'hyène pour lui donner le coup de grâce. Elle alla trouver un singe et lui dit: « Toi qui es un promeneur enragé, tu connais le repaire de l'hyène. Il faut m'y conduire sur-le-champ! »

Le singe mena la lionne chez l'hyène. Le lièvre était en train de jouer de sa diouroukelé, une guitare à une corde. Il chantait en même temps et le siéménéouâra, le grand chat de la brousse, répondait à ses questions en chantant lui aussi.
« Quelle est cette peau? demandait le lièvre.
— C'est, répondait le siéménéouâra, la peau de telle bête que notre chef a dévorée!
— Et celle-ci?
— La peau de tel autre animal englouti par notre chef. »
À l'entrée de la lionne, tous les sujets de l'hyène, épouvantés, voulurent prendre la fuite.
« Que nul ne bouge! gronda la lionne, ou j'étrangle tout le monde. »
« Continue! ordonna la lionne au lièvre qui avait interrompu son chant, continue si tu ne veux pas que je te mange! »
Le lièvre reprit alors « Quelle est cette peau-là? » Pas de réponse! « Quelle est cette peau-là? » Personne encore ne répondait.
« Passe-moi ta diouroukelé », dit alors la lionne. Elle se mit à jouer et chanta elle-même les questions: « Quelle est cette peau-là? Réponds-moi, lièvre, toi qui interrogeais tout à l'heure! »
Et le lièvre répondit: « C'est la peau du zèbre dont notre chef a fait sa proie… C'est la peau de la biche que notre chef a dévorée… »
Arrivée aux peaux des trois lionceaux: « Quelles sont ces peaux? gronda la lionne.
— Ce sont, dit le lièvre, des peaux de mmmm.
— Qu'appelles-tu des peaux de mmmm? Ça n'existe pas! Quelles sont ces peaux encore une fois? Dis-le-moi distinctement, ou je te brise les reins.
— Ce sont les peaux de tes petits! » murmura le lièvre secoué de frissons d'épouvante.
À ces mots, la lionne, au comble de la fureur, étrangla les animaux présents les uns après les autres et se réserva l'hyène pour le dessert.
Le carnage terminé, la lionne sortit et, rencontrant les bêtes de la brousse, leur commanda d'aller, chacune de son côté, lui chercher à manger. Et toutes revinrent avec des victuailles: le lièvre avait volé pour elle des arachides; le chat lui apportait des poulets dérobés; le singe, des tomates… Seul le bouc n'avait rien trouvé.

Le lendemain matin, au moment d'envoyer les animaux à la recherche de sa nourriture, la lionne, désormais reine de la brousse à la place de l'hyène, dit au bouc: « Tu ne te gratteras plus jamais contre les murs si tu ne m'apportes rien encore aujourd'hui, car je te tuerai! »
Le bouc partit en pleurant.
« Bouc, pourquoi ces pleurs? » lui demanda une vieille femme qu'il rencontra. Le bouc lui confia les raisons qu'il avait de trembler pour sa vie.
« Rassure-toi, lui dit la vieille, je vais te remettre une poudre merveilleuse grâce à laquelle tu te procureras autant de gibier que la lionne pourra en désirer. Tu avaleras un peu de cette poudre et tu t'en frotteras la barbiche. Après cela, tu n'auras qu'à braquer celle-ci vers n'importe quel animal pour l'abattre aussitôt. »

Le bouc remercia chaleureusement la vieille et partit, muni de son grigri. Arrivé dans la forêt, il aperçut un sanglier. Il le visa avec sa barbiche et le sanglier tomba raide mort. Puis ce fut le tour d'une biche.
Il apporta à la lionne le produit de sa chasse: « Comment as-tu fait pour te procurer tout ce gibier? lui demanda-t-elle. Comment as-tu pu tuer le sanglier? C'est un animal qui parfois m'effraye moi-même!
— C'est que je possède un grigri, répondit le bouc. Que je braque ma barbiche vers quelqu'un et il tombe mort sur-le-champ!
— L'as-tu déjà dirigée de mon côté? demanda la lionne assez peu rassurée.
— Pas encore! Mais je vais le faire! — N'en fais rien! s'écria la lionne. Je te rends la liberté d'aller où il te plaira! »
Et elle s'enfuit en criant toujours: « Ne te tourne pas de mon côté! Ne te tourne pas de mon côté! »
Le bouc regagna le village des hommes et jamais plus ne s'aventura dans la brousse.


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