Partie 4

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Printemps 45

À Remiremont, Maman décide de rentrer à Travexin. Je l'accompagne. Les trains ne fonctionnent plus, nous prenons un taxi. 

À notre arrivée au village, pas une âme !! C'est un hameau mort en partie détruit ! Nous prenons le chemin qui mène à la maison. Un voisin, tout surpris de notre arrivée nous apprend que personne n'a encore osé s'aventurer par ce passage, pensant qu'il était miné ! Je dois avouer que nous avons eu bien des difficultés à franchir les barbelés qui l'encombrait, mais nous ne pensions par au danger !!

Nous arrivons dans notre maison, mais devons y pénétrer par la fenêtre de la cuisine, car un tas de gravats obstrue la porte d'entrée. Les soldats ont fait une brèche dans le mur afin d'atteindre la fontaine sans sortir, par crainte d'être vus par l'ennemi !

À l'intérieur, règne un silence pesant, ponctué seulement par le bruit des gouttières venant d'un toit endommagé. Le soir tombe déjà, et plus d'éléctricité ! Quel désordre ! Toutes les casseroles ont servi et trainent sur le sol. Nous arrivons tout de même à chauffer de l'eau pour remplir une bouillotte; on se glisse dans un lit humide, n'osant pas circuler sans lumière dans une chambre encore remplie de caisses de munitions !  

Puis, tout à coup, arrive un intrus: c'est notre chat que nous avons peine à reconnaître tant il a grossi ! Il n'a manqué de rien avec les militaires !

Le lendemain, au grand jour, on fait l'état des lieux ! C'est la désolation ! Tout à été visité et pillé. Nous n'avons plus de linge de maison. Les armoires sont vidées de leurs vêtements, nous en trouvons ainsi que des chaussures qui ne nous apppartiennent pas. Les photos de famille sont éparpillées sur le sol mouillé, les planchers sont tachés de mercurochrome ! Dieu, que tout est triste dans cette maison vide ! A l'extérieur, nous découvrons le caporal Mohamed Ben Abdesselem qui git à quelques mètres, à l'endroit même ou il a trouvé la mort. Il sera enterré provisoirement dans la propriété avant son transfert au cimetière de Cornimont ou j'ai pu visiter sa tombe. Il doit reposer maintenant dans un cimetière musulman. 

Après avoir remis un peu d'ordre dans la maison, je dis à Maman que nous devons repartir mais je n'arrive pas à la décider !; par contre, elle m'incite à reprendre mon emploi car Mme Clément veut prendre sa retraite et compte sur mon aide pour son déménagement !

Je rentre donc à la maison le 1er Mai.

Nous n'avons plus de bois de chauffage. Avec Maman, nous allons récupèrer en forêt les bûches que les soldats ont emportés pour couvrir leurs gourbis. Puis, vient la saison des travaux avec la fenaison. On ignore ce que sont devenues les deux vaches ! La Tante Marie de la Bresse tuée ainsi que son mari par les bombardements en possédaient une que Maman voudrait bien retrouvée, mais sans résultat !

Un maquignon de Cornimont nous amène une pensionnaire, nous auront du lait !

J'apprends à faucher avec le "pére Poirot", un voisin, puis Mr Petitgenet qui venait chercher du lait à la maison avant l'exode, vient nous aider lui aussi et m'apprend à aiguiser les faulx. Nous employons aussi des prisonniers Allemands pour scier et couper le bois, ce sont les prisonniers français libérés qui les accompagnent à l'aller et au retour dans leur campement à Cornimont.

Comme Mr Petitgenet nous rend des grands services, nous l'invitons ainsi que son épouse à partager le repas de ce Dimanche 24 Août, fête patronale de Cornimont.

Ce jour-là, à son arrivée, il est très heureux de nous offrir de beaux champignons et décide qu'après le repas, il ira de nouveau en chercher, voyant notre plaisir !!

Nous lui recommandons fermement de ne pas aller en forêt le long de la Goutte, cet endroit n'étant pas encore déminé ! Nous sommes quelque peu rassurées en le voyant partir dans une autre direction ! Mais, dans l'après-midi, alors que nous ramassons le regain, ne le voyant pas revenir, nous sommes prises d'une grande inquiétude quand tout à coup, on entend une formidable explosion suivie d'un nuage de fumée qui apparait au-dessus des sapins de l'endroit indiqué dangereux.

Après quelques instants inquiètants qui nous semblent interminables, nous voyons apparaître à l'orée du bois, le blessé tout ensanglanté qui crie en faisant de grands gestes pour nous appeler ! Avant de s'écrouler sur l'herbe du pré !!

Nous accourons avec des couvertures pour couvrir ce corps dénudé car la déflagration a mis ses vêtements en lambeaux; je vais chercher de l'aide chez un voisin afin de le transporter à la maison. Une ambulance n'est pas disponible, alors je cours chez Mr Chavanne qui met sa voiture et son chauffeur à disposition dans les cas très urgents. Mme Petitgenet qui est très âgée me supplie de bien vouloir accompagner son mari à l'hôpital, ce que je j'accepte magré mon désarroi, mais !, que ces 25 kms me semblent terriblement longs en compagnie de ce grand blessé et auquel je ne peux aider que par des paroles de réconfort ! difficiles à exprimer !

Après notre arrivée, le chirurgien qui l'a examiné me fait comprendre qu'il y a peu d'espoir de le sauver, la grenaille de l'explosif a perforé les intestins de toute part ! Je le vois s'affaiblir, il est très mal. Avec ménagement, je lui demande s'il veut voir un prêtre, ce qu'il accepte d'une voix inaudible ! 

À la suite de cet entretien, je regagne sa chambre, je vois ce regard triste qui ne me quitte pas ! Il est si seul !! Alors, rassemblant ses dernières forces, il prend mes mains qu'il veut encore serrer et ne les quitteras qu'à son dernier soupir !

Je me souviendrai longtemps de ce jour, fête patronale, le 1er après la Libération !

Libération ! Oui !! Mais à quel prix ? Du sang de ces jeunes ou moins jeunes, victimes de la folie barbare de quelques hommes ?

Je pense encore à ce soldat sous les bombardements qui crie à une de mes amies !! "Couchez-vous, mademoiselle," alors que lui ne s'est pas relevé !! et, au printemps 45, tous ces soldats en forêt restés là ou ils avaient trouvé la mort et que l'hiver et le froid avaient si bien conservés. Je sais qu'ils ont eu souvent la visite de ma courageuse Maman !

Les souvenirs me reviennent souvent en mémoire avec le regret de ne plus pouvoir les partager avec les personnes de mon âge qui, malheureusement nous ont déjà quitté.

Après ces douloureux évènements, la vie reprend au village. Les habitants retrouvent leurs maisons qu'il faut réparer et l'usine qui n'a plus de toiture. Il faudra plusieurs mois pour dérouiller les métiers à tisser et les remettrent en état de marche, séparer les ponts qui ont sautés ou se sont noyés la nuit des évacués en empruntant des passerelles provisoires ! Nettoyer les forêts où    80 000m³ de bois sont hachés. Tout le monde devra s'armer de courage alors que nous subirons encore les restrictions ! Et cela jusqu'en 1947. On portera encore des chaussures à semelle de bois, on fera encore du savon avec du suif et du café avec de l'orge grillé !!

Puis, peu à peu, on essaie d'oublier les mauvais jours. Il faut tout de même fêter la Libération ! Alors, on organise des bals. C'est au cours d'une de ces soirées que je retrouve Pierre. Il ne m'est pas inconnu, nous avons fréquenté la même école primaire, mais nous nous sommes perdus de vue pendant ces années de guerre. Nous engageons la conversation en devisant gaiement. Il me semble avoir vu à son doigt une alliance, il me laisse croire qu'il est marié ! Instantanément je lui dis "C'est dommage !" Je pense que cette réponse spontanée a eu un impact favorable à de futures rencontres, car ce même soir, avec mon amie, il nous accompagnaient au retour à la maison.

Nous nous retrouvons souvent ensuite et envisageons des projets de mariage en 1946. Henri, qui est rentré d'Indochine à Noël 45 est fiancé à Geneviève et c'est d'un commun accord que nous fixons la date du 12 Septembre pour ce double mariage.

Après le passage à la mairie et la cérémonie réligieuse, le repas aura lieu dans la maison familiale des Rosiers. En ces temps de pénurie, un peu de casse-tête pour le ravitaillement, mais dans l'ensemble, tout c'est bien passé ! Je dois dire aussi que nous avons eu beaucoup de chance, car quelques jours après, une mine éclatait sur le chemin qui mène à la maison et qu'avaient fréquentés les voitures ce jour-là !

Henri a rejoint sa base militaire avec son épouse. Nous nous installons dans l'autre maison de nos parents. Je retrouve mon emploi à la vérification et Pierre est à l'eneslleuse. Nous travaillons 40 heures par semaine et j'ai la possibilité de faire des heures supplémentaires le Samedi, mais sans chauffage ce jou-là, et c'est l'hiver ! Je me souviens qu'un jour, un collègue de travail avait apporté une petite fiole de "goutte" qu'il nous a fait partager afin de nous réchauffer !

En dehors de ses heures de travail, Pierre va chercher du bois de chauffage dans la forêt saccagée. Nous avons la possiblité d'en faire une bonne réserve pour l'hiver !

J'avais 20 ans en 1940. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant