Pourquoi tout est toujours si compliqué, tordu et triste ? Ne serait-ce pas plus simple d'en finir ?
Telles étaient mes pensées face à l'obscurité vaste et froid qui se a mes pieds.
Sur le garde-corps de ce pont je regardais la profondeur de ce fleuve.
Cette étendue d'eau m'attirait, me murmurant des mots doux, rassurant, me promettant une libération immédiate. Je m'imaginais me laisser tomber droit dans ce profond abîme, son contact glacial me paraîtrait comme un geste de salut et de bienvenue.
Pour rassembler mon courage, je pense a toutes ces choses qui m'ont conduite à me retrouver sur ce garde-corps...
Une mère qui ne m'a jamais donné l'impression de m'aimer, auprès de qui je ne me sentais jamais à la hauteur, vulnérable. Une mère qui faisait des différences entre ses différents enfants, les manipulant à sa guise. Un père dépassé, fatigué, épuisé, qui a décidé de laisser tomber, car c'est plus facile que de se battre contre une personne telle que ma mère. Une sœur, qui a su tirer avantage, de cette situation, profitant et manipulant à son tour, sa mère. Des frères qui se déchirent, finalement une famille brisée.
Une adolescence cachée et gâchée, l'interdiction de sortir, de vivre sa vie comme tous les autres jeunes hommes et femmes. Les seules sorties autorisées étaient plus dangereuses que si je sortais avec des amis au cinéma ou à un concert. Rassurés par le terme « association », se disant avec confiance que tous ses membres sont des gens forcément bien, ils n'ont pas vu les attouchements que j'ai subi à 12 ans, parfois juste sous leurs yeux.
En me faisant une amie parmi cette association, personne ne s'est imaginer que je me ferais violer par son fiancé.
Un beau jour j'ai cru trouver mon bonheur, avec cet homme, cette personne qui semblait si stable, si sûr de lui. Il était drôle et avait vécu plein d'aventure. Il avait des amis que je n'ai jamais eu. J'ai été irrémédiablement attiré par lui. Il était tout ce que je n'étais pas.
On a rapidement emménagé ensemble. Je pensais vivre un conte de fée, j'étais avec une personne qui m'aimait enfin. Même si cette personne me comparait à ma sœur, se moquait de ma passion pour les livres, de mon manque d'expérience dans la vie. Même s'il a essayé de me mettre au régime. Après tout il m'aimait, il me faisait l'amour donc il m'aimait. J'ai eu deux enfants avec, c'est une preuve d'amour non ? Il m'a demandé en mariage c'est aussi parce qu'il m'aime non ?
Mais est-ce normal qu'il y a aucune tendresse et caresse pendant nos ébats ? Qu'il passe de plus en plus de temps avec sa meilleure amie ?
Je ne peux plus vivre ainsi, on doit se séparer ! Ça l'a soulagé, après tout selon ses dires, il n'a jamais voulu se marier, il ne m'a jamais vraiment aimé.
Mais qu'est-ce que c'est que d'être aimé ? Et moi ? Suis-je capable d'aimer ? Est-ce que je mérite d'être aimé ?
Que me reste-t-il ? Je n'ai pas d'objectif, pas de projet, je n'ai aucun talent. Mes enfants s'en sortiront -ils pas mieux sans moi ?
Ces pensées me tenaillent, ne me quitte pas ; après tout je suis un poids pour tout le monde, autant les libérer.
J'avance un plus vers l'abîme, quand deux visages m'apparaissent soudainement devant mes yeux.
Deux merveilleux petits visages, tous les deux avec un sourire magnifique, du soleil dans leur regard.
Des souvenirs me surgissent. La naissance de mes petits dragons, leur premiers sourires, la première fois qu'ils ont dit « maman », et les autres millions de fois aussi. Les « je t'aime » incessants de ma fille, les phrases remplies d'amour de mon fils, ils sont tout ce que j'ai de plus précieux. Ils ont besoins de moi. Même s'il y a des moments de crises, pleurs, colère ; il y a surtout ces moments d'amour, de partage et de tendresse. Oui je suis capable d'aimer, et oui ces deux petits être m'aiment en retour.
D'autres souvenirs me viennent :
Ces amies que je n'ai jamais, vu mais qui me soutiennent de l'autre bout de la France, elles qui m'ont dit franchement quand j'exagérais et que j'abusais, elles qui même alors que je les ai lâchement abandonnés m'ont ouvert les bras quand je suis revenue,
Ces amies que j'ai rencontré après mon divorce, elles m'ont fait découvrir ce que c'était que de s'amuser, j'ai vécu des choses nouvelles, des moments de partage, complicité d'entraide. Avec elles j'ai retrouvé une deuxième famille.
Cet homme qui m'a fait découvrir ce que c'était qu'une vraie sexualité, fait dans le partage, le plaisir et le respect.
J'ai appris à m'assumer un peu plus grâce à lui, même si ce n'est pas tout à fait ça.
Et tout ce que j'ai accomplis ? Vivre seule avec mes deux enfants, gérer la scolarité de mes enfants, leur santé, mon travail.
Réparer la plomberie de ma salle de bain, monter et démonter des meubles, refaire entièrement ma cuisine, réorganiser mon jardin, me tatouer, emmener mes enfants en balade, en vacances. Perdre 13 kilos ! Faire des randonnées toute seule, marcher 20 kilomètres.
Tout ce que je ne pensais pas être capable de faire ; je l'ai fait.
Et tout ce qui me reste encore à faire ? Voir grandir mes enfants, voyager, rencontrer encore plus de personne, trouver un jour une personne qui m'aimera réellement, si ça n'arrive pas être heureuse seule. Devenir grand-mère, vous mes enfants épanouis, continuer de m'éclater avec mes amies, et au lit...
Prenant conscience qu'il y a plus de positif que de négatif, je me ressaisis, le fleuve ne m'attire plus, le vent en colère souffle encore plus fort. Je descends du garde-corps...
Se jeter du haut de ce pont aurait été tellement plus simple, car c'est simple de tout arrêter sans penser aux autres. Se bloquer à chaque difficulté. J'ai décidé de me battre, car c'est ce que je suis une battante. J'ai trop de chose à accomplir, trop de mission à remplir, trop de gens à aimer pour tout abandonner ainsi. Je choisi la difficulté et le défi, je choisis la vie !
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Le grand saut
Short StoryIl n'y aura qu'un seul chapitre, rien d'autre que les pensées qui ont traversé chaque femme (et homme) brisés.