Tu es arrivée dans ma vie lorsque j'ai eu mes règles. Un mercredi en mars, j'avais 11 ans, un examen de piano. Je n'ai pas eu mal tout de suite.
Tu t'es manifesté au fil du temps, doucement, vicieusement.
Des pertes d'appétit le matin pour commencer. Je finissais par jeter mon chocolat chaud dans l'évier.
Puis ensuite les maux de ventre et les diarrhées. De longues minutes aux toilettes. Personne ne se pose de question, sans doute le stress de l'école.
Le lycée est difficile, l'infirmière me connait bien maintenant. La concentration en cours est délicate car la douleur s'impose et mes pensées se focalisent sur elle. Je n'ose pas sortir de classe pour me soulager. J'attends en silence la pause de midi.
Au fil des ans, tu es désormais quotidienne. J'ai mal au ventre tous les matins, je ne mange plus rien et j'attends. Encore et toujours. J'espère vainement qu'un jour tu disparaîtras.
Mes 18 ans, je quitte ma ville natale pour la capitale. Un nouveau départ. Un foyer pour étudiantes, une super coloc, des études qui me plaisent. Tu ne pouvais pas me gâcher ce plaisir et pourtant...
Je tente des examens médicaux. Coloscopie, échographie, IRM, tests sanguins, bilan complet. Gastro-entérologue, medecin généraliste... J'en vois passer.
Résultat négatif. On me dit que tout va bien, que je suis parfaitement constituée.
On me donne du spasfon, et d'autres médicaments pour le ventre.
Sans diagnostic précis, on me dit que je souffre de colopathie fonctionnelle. Un intestin irrité en permanence. Les medecins me conseillent de surveiller mon stress et mon alimentation. Ce que je fais. Sans gluten, sans lait, jolis petits régimes.
Les années passent, tu es ma moitié, partie intégrante de ma vie et de mon planning jour par jour. J'évite des activités le matin. A la fac, je sèche tous les cours où je me sens mal. Qui c'est qui s'est tapé beaucoup de rattrapages? Bibi !
J'emménage avec mon petit ami de l'époque. Il commence à me soutenir moralement, il comprend ma douleur, souffrant lui-même de diabète.
Je quitte les études et commence à entrer dans la vie active. Les crises de douleurs, jusqu'à maintenant plus ou moins gérables, débordent. Je n'ai que peu de médicaments, des anti-douleurs pour la plupart. Des anti-dépresseurs aussi car je souffre de dépression. Je ne m'en étais pas rendue compte.
Mon travail ne me plait pas, je suis mal aimée par mes collègues, je n'apprécie pas le contact physique ni l'accueil.
Le matin devient mon angoisse. Pourquoi ais-je mal comme ça si tout va bien? Si les examens médicaux ne montrent rien?
En désespoir de cause, je refais une IRM car je ne supporte plus d'avoir mal. J'ai mal au lever du soleil, j'ai mal pendant l'amour, j'ai mal quand je mange trop gras, trop d'alcool...
Toujours rien mais toi tu es là, insidieuse.
Et puis jour marqué dans ma mémoire : douleur intense, mon mari s'en va travailler, moi je ne peux pas bouger de mes wc. Puis je commence à paniquer, seule, je pleure, hurle. J'attrapage mon téléphone et supplie mon petit ami de revenir à la maison. "Je vais mourir", "fais quelque chose je t'en prie". Il revient et je fonce aux urgences. Je connais bien les urgences mais eux ne te connaissent pas.
Et puis le mot endométriose arrive dans ma vie. Sans grande conviction, je prends rendez-vous au centre St Joseph de Paris, où un centre de l'endométriose existe.
Lundi 17 janvier 2020, j'attends ce rendez-vous avec impatience et aussi un peu de peur. Je rencontre le Dr Petit, grand chercheur de la maladie. Il me demande de me déshabiller pour passer l'examen. Surprise, je m'exécute.
Il me passe une sonde et sur l'appareil sonne le verdict : "vous avez une endométriose, juste là". Trentes seconde.
Ca lui a pris trentes secondes.
Je pleure. De soulagement. De bonheur. Je connais enfin ton nom, après 17 ans d'errance. Je peux enfin dire que je ne suis pas folle, que tu es bel et bien réelle et non pas dans ma tête. Car on aimait bien dire que je t'inventais.
Tu étais là dans mes examens mais invisible pour ceux qui ignorent ton existence.
Je ne tuerai pas tout de suite, tu es pour l'heure invincible. Mais je peux te combattre. En supprimant ta force, c'est-à-dire mes règles. En utilisant d'autres medecines, comme l'acupuncture. En méditant, en m'assouplissant avec le yoga. Avec l'amour de mon mari, toujours présent depuis 8 ans. Le soutien de ma famille et mes précieux amis.
Tu causes de l'infertilité, de la douleur, de la fatigue chronique, des douleurs pendant les rapports sexuels, de l'incompréhension, et parfois même tu t'immisces dans d'autres organes. Tu n'es pas mortelle mais tu tues pourtant le bonheur d'une femme sur dix en France.
Tu es une pourriture pas encore reconnue par le système de santé mais on finira par t'abattre.
D'ici là, je me battrai de toutes mes forces contre toi. Tu ne gagneras pas cette guerre, endo.

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Récit d'une endogirl
Phi Hư CấuEndométriose. Maladie qui commence à devenir familière et qui pourtant reste trop peu connue par le corps médical et les femmes. J'en souffre, comme tant de femmes en France et dans le monde. Je veux écrire ce qu'est cette maladie, et j'espère que...