Chemin De Croix

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   Profitant de la distraction de la jeune femme, une main translucide vint caresser sa mâchoire, ses ongles nichés au creux de son cou, entre deux veines. Contre la peau pâle du magicien, une mesure rapide se laissait sentir, tandis que le sang affluait à vive allure dans un corps désormais crispé par l’anxiété. Le rythme finit pourtant par se calmer, s’alignant sur celui plus tranquille du souffle des deux criminels. Peu après, une voix féminine brisa le silence du lieu, les lèvres sèches :

« Ça aurait été plus simple. Danchou et Shizuku sont sûrement les seuls à apprécier ce genre de vieux livres, et aucun des deux n’a le temps ou l’envie de parcourir des centaines de pages pour si peu.
- On peut aussi faire sans. Après tout, si ces informations avaient été réellement importantes, nous n’y serions jamais allés nous-même. Je me trompe ? »

Non, bien sûr que non. Et c’était probablement le pire chez lui, cette habitude de tout décrire, de tout retranscrire.  Cette manière de tout énoncer d’une voix suave ; celle-là même qui vous donnait une impression désagréable de nudité, à mi-chemin entre vulnérabilité et abandon, indépendamment de toute volonté.
   D’un geste aussi rapide qu’inattendu, la jeune femme se dégagea, à nouveau perdue dans ses pensées. Leurs objectifs étaient presque atteints, mais le temps venait à leur manquer et les derniers détails ne pourraient probablement pas être pris en compte si les aiguilles continuaient de courir ainsi sur le cadran. Considérée comme la plus intuitive du groupe, c’était normalement à la marionnettiste qu’incombait la charge de solutionner ce genre de problème. Pourtant, les mots lui manquaient. Encore.

« C’était notre rôle, peu importe ce que tu en penses. »

   Durant quelques secondes, des pas résonnèrent dans la pièce. Leurs claquements secs se répercutaient en écho sur les murs, mais la sinistre mélodie qui en résultait ne semblait pas faire effet sur ceux qui se démarquaient du commun des mortels... Il ne suivait pas.
   Lentement, une goutte de sueur dévala son dos, allant se nicher au creux de ses reins alors que la jeune femme faisait volte-face. Comme s’il avait pu voir cette main immatérielle frôlait ses hanches, le magicien sourit. Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes de laisser à d’autres le soin de caresser la peau de ses victimes, mais il fallait l’avouer, la situation ne lui déplaisait pas. Avec un frisson, l’homme aux yeux d’ambre la toisa, cherchant du regard un autre signe, une autre faiblesse. Déçu de l’échec rencontré par cette nouvelle entreprise, le jeune homme se détourna. C’est le moment que choisit l’araignée pour tirer sur ses fils, le visage tourné vers la croix qui s’écroula en un bruit sinistre à quelques pas d’eux.

   Une fois au sol, le corps sans vie de l’objet dévoila enfin son imposante cage thoracique de métal, dont les côtes rouillées semblaient s’être brisées sous l’impact. Tordues, les épaisses barres de fer qui soutenaient auparavant la structure tendaient les bras vers le ciel, les mains jointes en une prière silencieuse, tandis que la bouche béante du bois, tailladée dans sa chair, laissait se déverser un flot d’échardes sur les pierres vieillies de la cathédrale. Dans un dernier craquement, la croix s’affaissa, semblable au torse d’un mourant ayant mené une trop longue bataille.

[H x H] CathedralOù les histoires vivent. Découvrez maintenant