Le ciel virait du bleu à l'orange en passant par le rouge et le violet. Les nuages glissaient doucement sur les flancs de la montagne telle une avalanche de brume. Bientôt, on n'y verrait plus rien car les nuages auront tout envahi tel de la purée de pois. La musique d'une fête lointaine parvenait jusqu'à ses oreilles. Il faisait frais, de sorte qu'il frissonna. C'était le plus beau paysage que le jeune homme avait jamais vu. Depuis la fenêtre de sa modeste chambre, il pouvait observer toute l'ampleur des montagnes qui l'entouraient. Les rayons du soleil couchant sur les pentes vertes donnaient un aspect de velours aux verts pâturages. Quelques vaches remontaient vers leur enclos pour la nuit. Il réalisa que c'était peut-être la dernière fois qu'il verrait le paysage magnifique qui l'entourait. Il y avait bien pire endroit pour mourir. Bien pire. Il avait connu beaucoup de beaux paysages mais aucun n'avaient l'ampleur de celui-là. Son sentiment de liberté n'avait jamais été aussi proche. Il ricana. Il se sentait plus libre que jamais. C'était bien le comble pour un condamné ! Il avait tellement été écarté, protégé, que cela l'avait mené ici, dans la plus belle prison du monde. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Après tout, les choses les plus belles sont souvent les plus dangereuses. Il n'avait jamais connu une discipline aussi stricte qu'ici. Enfin, pourquoi devrait-on donner du répit aux condamnés innocents, n'est-ce pas ? Il ne savait pas exactement pourquoi il était ici. Une vague histoire de conspiration... Comme tous ceux ici. Aucun n'avait commis une seule infraction, enfreint une seule règle. Ils avaient juste eu la malchance de croiser la mauvaise personne. Des prisonniers politiques, c'est comme ça qu'ils étaient appelés. Sauf, bien-sûr, dans la politique. Pourquoi était-ce si compliqué ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas vivre, tout simplement ? Un seul pas de travers, un seul regard un peu froid à la mauvaise personne, et on se retrouvait ici. Il se rendit brusquement compte qu'il faisait nuit. Le brouillard n'était qu'à une centaine de mètres. Combien de temps était-il resté ici, à se poser des questions auxquelles personne ne trouverait jamais de réponse ? Depuis qu'il était ici, il tenait une liste où il marquait toutes les questions qu'il se posait. Le bruit de la fête se rapprocha. Que fêtaient-ils ? Il n'avait pas envie de le savoir. Il y a une rumeur qui circule comme quoi, si on reçoit une bouteille d'alcool à la place de son repas, ce sera le dernier repas que l'on aura. Cette rumeur a été lancée par un ancien prisonnier, un ivrogne, qui avait demandé une bouteille de rhum en tant que dernier repas. Les matons s'étaient alors approprié le phénomène, pour « pouvoir permettre un dernier petit plaisir avant la fin. » S'il y avait un dieu en ce monde, il n'était clairement pas avec le prisonnier car c'est une bière qui passa par la fente de la porte. Une bière ! Ils n'auraient pas pu donner quelque chose de plus grand ? Il entendit les gardes ricaner derrière la porte. C'était la fin, sa dernière soirée. Il avait connu des amis, tous morts à présent. C'était désormais son tour. Il avait bien une femme et un fils qui devait avoir 20 ans maintenant. 15 ans qu'il ne l'avait pas vu. Il ne savait même pas à quoi il ressemblait maintenant. Lorsque les prisonniers mourraient, une lettre était envoyée à la famille, recommandant de refaire leur vie sans nous parce qu'ils n'auraient plus jamais à s'encombrer d'un boulet comme nous. Sympa comme lettre d'adieu. Il sirotait maintenant sa bière tout en songeant à la faim qui allait lui tordre le ventre pendant la nuit. Il traça un trait de plus sur le mur, son dernier trait. Il avait passé exactement 562 jours dans cette terriblement magnifique prison. Il avait comme l'impression qu'un couteau s'enfonçait dans son abdomen. Cela faisait si longtemps qu'il était là, et il allait mourir ici, il allait tâcher de son sang ce paysage si pur comme des milliers avant lui. Des milliers. Des milliers d'innocents. Des milliers de gens qui avaient une vie bien remplie avant. Des milliers de familles déchirées. Des milliers d'amis qui n'ont plus personne pour se confier. Des milliers de femmes, d'enfants, de voisins, de connaissances, d'amis, de fidèles compagnons à jamais tristes. Il fallait que ça cesse. Il ne pouvait pas laisser faire les hommes politiques corrompus. Il devait mettre le plus de bazar possible et il fallait que les autres le suivent. Mais comment faire ? Cette prison était ultra sécurisée. Il retint un cri de joie quand il trouva le moyen de s'échapper d'ici, de détruire cette prison à jamais. Mais il lui fallait de l'aide pour mener à bien ses projets. Sa bière finie, il la frappa contre le sol de sorte à briser le verre. Il tria les morceaux utiles. Il n'avait plus beaucoup de temps. Le bruit avait sûrement alerté les gardes qui n'allaient pas tarder à arriver. Il cacha le morceau de verre le plus pointu dans la poche secrète de sa veste, qu'il avait cousu lui-même. Il s'allongea sur le sol, puis s'écorcha le front. Il ferma les yeux et sentit le liquide chaud couler sur ses yeux. Il fit le mort. C'était une chose qu'il savait faire à merveille. Depuis tout petit, il se cachait pour échapper aux soldats. Il en avait vu des massacres, Il en avait vu des gens tomber autour de lui. Il était comme insensible à la mort ; il n'en avait pas peur. Pourtant, il s'était fait une promesse il y a longtemps, la promesse de rester en vie le plus longtemps possible pour enfin sortir de ce pays et voir le monde dont on lui a tant dit de bien. Il entendit les gardes frappe à la porte puis le cliquetis des clefs dans la serrure. Ils entrèrent dans la chambre et découvrirent le corps visiblement sans vie. C'est à l'infirmerie qu'ils l'emmenèrent, et non pas directement dans la fosse, comme il l'espérait. C'était une petite pièce froide et humide, donc certaines portions de mur étaient recouverts de moisissure dont les tons oscillaient entre le vert et le bleu. Il la connaissait bien cette pièce, pour y avoir passé beaucoup d'heures, souffrant d'une pneumonie persistante. L'isolation de la salle n'allait pas en sa faveur. Le désagréable bruit du robinet fuyant se fit entendre. Combien de fois a-t-il souhaité se lever afin de faire taire ce goute à goute imperturbable? L'unique fenêtre de l'infirmerie ne permettait même pas d'y passer la tête, empêchant ainsi la bonne aération du lieu. Il y avait là quatre lits à ressorts, dont deux occupés. Le premier lit, si on pouvait appeler ainsi le carré de paille recouvert d'un drap troué à de multiples endroits, monté sur un échafaudage qui grinçait comme une girouette mal huilée, était occupé par un homme en sang gémissant faiblement grâce au peu de force qui lui restait. Sûrement qu'il avait tenté de s'enfuir mais s'était fait rattrapé par les chiens. L'autre lit était occupé quant à lui par un homme qui semblait s'être cassé le bras. Les gardes, qui jusque là avait traîné le prisonnier par les bras, le déposèrent sur le dernier lit. Le faux mort attendit là que le médecin arrive. Celui-ci arrivât enfin et commença à examiner le corps du patient. Ce dernier sentit une dose d'adrénaline déferler dans son corps. Il retint sa respiration et pria pour avoir l'air le plus pâle possible. L'air commençait à lui manquer. Bientôt, son visage virait au bleu, ce qui allait compromettre sa couverture...
VOUS LISEZ
Ulirik
Science FictionDans une prison perdue au bout d'un pays géré par une dictature, un prisonnier parvient par miracle à s'échapper, mais jamais il ne pourra retrouver sa vie d'avant.... 1 chapitre par semaine.... Titre non définitif