Chapitre 2

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Voir sa vie défiler devant ses yeux n'était pas une expérience dont tout le monde pouvait se vanter.

Il avait toujours été doué en apnée, mais il commençait sérieusement à se sentir mal. Des souvenirs remontaient à la surface, tandis que sa vue se brouillait. S'il s'évanouissait, il risquait de ne plus jamais se réveiller. S'il respirait, il prenait le risque de se faire prendre, et de finir ses jours en isolement. Que faire ? Un plan si simple ne pouvait pas passer aussi simplement au travers des mailles de la prison. Et si son plan avait déjà été découvert ? Et si le médecin était juste derrière, discutant avec le garde, en attendant qu'il respire à nouveau ? Le noir autour de lui rongeait su vision de plus en plus. Il se retint autant qu'il put, mais il était trop tard. La mort avait frappé à sa porte comme le jour de son arrestation, un petit matin d'été ensoleillé. Il était seul chez lui, sa femme et son fils étant chez ses parents. Il s'apprêtait à les rejoindre. Il ne les vit plus jamais. Quel jour étions-nous ? La fin. Il sombra pour de bon, en un dernier souffle, dans l'inconnu. Il ne sentit pas le médecin qui vint vérifier s'il était bien mort. Il ne sentit pas les gardes qui le soulevèrent pour l'emmener dans la fosse. Il ne sentit pas la douce brise d'un matin d'été, n'entendit pas les oiseaux chanter si allègrement dans un lieu si morbide. Il ne sentit pas le petit cortège s'arrêter devant la fosse à l'odeur si écœurante. Mais il sentit la chute dans le trou profond. Elle dura assez de temps pour que son cerveau reprenne conscience, dans un ultime souffle de vie, et sa respiration repris. Toujours évanoui, gisant sur une terre souillée de sang, dans une odeur âcre, le cœur se remis à battre dans sa poitrine, le sang à circuler et les poumons à se remplir d'air. Il était tombé face avant sur le sol, et le choc provoqua ce miracle. Le ciel virait du bleu à l'orange en passant par le rouge et le violet. Les nuages glissaient doucement au-dessus de lui. Il reprit conscience doucement. Son premier réflexe fut de céder à la panique, avant de comprendre où il était. Comment sortir d'ici ? Ce fut sa première pensée. Sortir en escaladant les rebords n'était pas envisageable, ils étaient trop hauts et glissants, et puis, arrivé en haut, il serait à la vue de tous. La seule solution qu'il trouva était de creuser un trou sur le côté de la fosse, suffisamment long pour arriver dans la forêt et fuir. Il fallait faire vite, car cette fosse n'était que provisoire. Des prisonniers étaient chargés de la vider régulièrement, pour déplacer les corps dans une fosse trois fois plus profonde, située à plusieurs kilomètres, dans le cratère d'un volcan, et de l'inspecter. Plusieurs fois il avait écopé de cette corvée, et reconnu des gens, des amis parmi les corps. Il se doutait que la prison ne choisissait pas les prisonniers au hasard. Il sera donc très vite repéré. Il y a un côté de la fosse où une bâche cache l'exposition au soleil. C'est là qu'il allait creuser. Restait plus qu'à trouver avec quoi creuser efficacement.

Il n'était pas loin de midi. Le Soleil brûlant d'un mois d'été tapait sur les corps en putréfaction. Une odeur âcre montait du fond de la fosse, si bien qu'il en avait la nausée. Cette puanteur atroce a failli le faire vomir plusieurs fois. Il avait arraché un tibia à un cadavre, et tentait maintenant de creuser un trou au moins assez grand pour s'y cacher. Le mort désormais boiteux semblait le regarder avec un mélange de haine et de jalousie. Sa main tendue vers lui semblait vouloir récupérer l'os arraché, et ses jambes semblaient prêtes à sauter sur lui au moindre instant. Peut-être était-ce la chaleur étouffante et l'effort qu'il avait à fournir qui lui provoquaient des hallucinations, ou bien le mort venait réellement d'émettre un gémissement. Puis c'était un autre mort. Et un autre. Et un autre. Il fallait qu'il sorte d'ici. Dans sa hâte, il manqua plusieurs coups, et tapa même sur son pied, provoquant un craquement similaire à celui de l'os qu'il a arraché plus tôt. Il n'avait plus aucune notion du temps. Son seul indice était ce Soleil, qui était descendu dans le ciel et éclairait désormais l'entièreté de la cavité. La chaleur n'était que douleur, et son malheur décuplait. La cavité qu'il creusait semblait ne jamais finir et les parois de la fosse lui paraissaient s'agrandir plus il les regardait. Il était en train d'halluciner. C'est dans ce profond délire que se posa à lui une question : qui suis-je ?

UlirikOù les histoires vivent. Découvrez maintenant