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   Londres avait toujours été réputé pour son temps capricieux. Ce mois de décembre 1951 ne faisait pas exception à la règle:
l'air était glacial, les flocons tombaient silencieusement et formaient un tapis blanc immaculé, rapidement détruit par les jeux espiègles des enfants facétieux. Batailles de boules de neiges et glissades en luge étaient au rendez-vous. Et lorsque le froid devenait trop oppressant, que les nez rougissaient ou que les éternuements se faisaient entendre, les gamins, pressés par leurs nounous, se hâtaient de rentrer chez eux pour déguster un chocolat brûlant et s'envelopper dans de moelleuses couvertures.

Malheureusement, ce portrait idyllique était réservé aux plus chanceux. Certains ne pouvaient s'offrir le luxe de jouer dans la neige, de courir dans les rues en riant gaiement, de profiter d'une boisson chaude aux côtés d'êtres aimés.

Jack faisait partie de ces misérables qui n'avait jamais goûté à l'insouciance. Le destin ne l'avait pas gâté. Il avait neuf ans, âge où, d'ordinaire, on ne se préoccupe que de jouer et s'amuser. Hélas il n'avait connu que la rue, les chapardages, le froid, la faim et la misère. Ne nous attardons pas sur son passé, cela serait bien inutile.

Le pauvre garçon errait, hagard, dans les rues mal famées qu'il connaissait bien. Épuisé, il s'affaissa sur le sol pavé d'une impasse quelconque. Le froid de ce début de décembre l'avait envahi, engourdissant ses sens et pensées. Il n'était plus qu'une sorte de coquille vide, où les seuls mots qui résonnaient en lui étaient faim, froid et peur. Jack était pourtant un gamin débrouillard et futé. Néanmoins il savait que maintenant qu'il s'était assis au milieu de toute cette neige mortelle, maintenant qu'il avait abandonné, il lui serait impossible de se relever et rien ne viendrait le sauver. Même en cette période festive de l'avent, personne ne prêterait main forte à un quelconque gamin des rues anonyme, transi de froid au milieu de la chaussée. Ils étaient des milliers dans son cas, et un de plus ou de moins ne changerait absolument rien au quotidien des Londoniens classiques.

Le pauvre gosse referma les yeux et dodelina de la tête en fredonnant une berceuse qu'il connaissait. La folie dût au froid terrible l'emportait lentement mais sûrement, précédant un sommeil éternel. Le gamin se sentit tomber. Sans doute le fruit de son imagination, il devait être en plein délire. Pourtant cela semblait vraiment réel... son dos était affaissé contre le sol enneigé, comme repoussé par une force inconnue. Déployant un effort surhumain, il entrouvrit un œil, puis l'autre. Il était bel et bien par terre, face contre neige. Quelque chose l'avait poussé, il en était certain. Retrouvant des forces, il se redressa en peinant et se retourna vers le mur, là d'où provenait la clef du mystère.

Il crut à une apparition divine.

Devant lui se tenait fièrement une déesse resplendissante de beauté.

Ébahi, il cligna trois fois des yeux béatement et se frotta les paupières pour être tout à fait certain qu'il ne rêvait pas, tant ce spectacle lui semblait ahurissant.

-Tu... tu es un ange du paradis venu m'emmener? balbutia-t-il, étourdi.

Ce qu'il prenait pour une apparition céleste éclata d'un rire cristallin et légèrement taquin.

-Quelle idée! dit-elle. Je me nomme Calypso, je ne suis que la fille d'Eugène Hénard, l'ingénieur. Qu'attends-tu pour entrer? Il ne fait pas un temps à rester dehors! dit-elle en désignant la porte qu'elle venait d'entrouvrir et contre lequel le garçon s'était affaissé un peu plus tôt.

Jack se releva, honteux d'offrir une image aussi négligé de sa personne à une demoiselle. Pourtant, il ne s'était -au grand jamais- préoccupé de sa tenue par le passé. Cet excès soudain de vanité le troubla, tout comme ses forces soudainement retrouvés.

Il s'apprêtait à protester, la proposition de la jeune fille était alléchante -cela faisait une éternité qu'il n'avait pas mis les pieds dans une pièce chauffé- néanmoins il lui semblait invraisemblable de suivre cette parfaite inconnue dans un milieu encore plus inconnu.

Mais il n'eut pas le choix. Ses jambes étaient comme attirées irrémédiablement par l'entrée béante et il ne put protester.

Calypso lui adressa un sourire d'ange, comme si elle savait pertinemment quelle sorte de magie s'opérait sur ses jambes impuissantes.

Ils entrèrent dans une sorte d'antichambre sombre, sans lumière. La porte se claqua, enfermant Jack à l'intérieur. Il sursauta mais Calypso l'apaisa d'un regard.

-N'est crainte! dit-elle. Te voilà entré dans l'une des attractions les plus prisées de l'exposition universelle.

Jack cligna des yeux, perplexe. Il avait bien sûr entendu parlé de la fameuse « exposition universelle » qui avait lieu en ville depuis plusieurs mois, et qui attirait des foules depuis les quatre coins du globes, pourtant il n'avait jamais compris en quoi cette fameuse exposition était si célèbre.

-Mais tu sais bien! L'exposition universelle! Elle réunie des ingénieurs et inventeurs du monde entier, venu représenter leur pays et exposer les plus récentes avancées technologique du siècle. C'est le seul sujet en bouche depuis trois mois.

Jack baissa la tête, honteux.

-Suis-moi, dit-elle. Derrière cette porte se trouve une splendeur inédite de l'exposition. Crois moi, tu ne vas pas être déçu.

La fillette poussa une autre porte en bois sombre que Jack n'avait pas remarqué, et il entra à sa suite, à présent curieux de ce qu'il allait découvrir dans cette salle aux milles secrets.

Le Palais des Mirages  (en relecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant