. Dernier jour de voyage .

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Après plus d'un mois sans nouvelles, j'ai reçu un message de mon père en descendant du bus. Il m'a demandé de le retrouver dans un Café. Gwen est resté avec moi, mais il n'oublie pas que sa famille veut aussi le revoir. Surtout ses deux petites sœurs.
Nous sommes tous les deux assis autour d'une table, chacun avec sa boisson entre les mains. Un chocolat chaud pour lui et un Cappuccino pour moi. Qu'importent les vingt-huit degrés de l'extérieur.

- Je crois que je ne pourrais jamais assez te remercier pour m'avoir emmené avec vous, le remercié-je.

Sa main part à la rencontre de mes doigts et il caresse doucement ma peau.

- Et je n'imagine pas que j'aurai pu passer plus d'un mois sans toi, complète-t-il.

- Finalement, la voiture en panne nous a permis d'allonger le voyage. Même si on a dû marcher des centaines de kilomètres...

- Ce sont des vacances dont on se souviendra toute notre vie.

- Surtout l'épisode des champignons et de la course dans le champ de maïs en maillot de bain.

Il rit et porte mes phalanges à ses lèvres pour les embrasser. Son regard est le même que sous la tente, la première fois que nos bouches se sont rencontrées. J'ai mis du temps avant de me rendre compte des sentiments qu'il avait à mon égard. Comme quoi un petit tour de France peut changer bien des choses.

- Pourquoi ton père n'a jamais répondu à tes messages ? me questionne-t-il en buvant une gorgée de sa boisson.

- Il n'a pas répondu tout court, à son téléphone quand je l'appelais. Il ne devait pas vouloir me parler...

- À cause de votre dispute ?

- Tout le monde lui dit que je dois avoir une idée de ce que je veux faire. À croire qu'a dix-neuf ans, je sais déjà pourquoi je dois me lever tous les matins...

- C'est pas le cas ?

- Je pensais que ce voyage m'aiderait, mais je suis toujours aussi perdu.

Mes yeux se posent sur la porte d'entrée du bar et le pouce de Gwen vient caresser l'intérieur de mon poignet.

- Ivan, m'interpelle-t-il en serrant mes doigts, ce qui m'oblige de nouveau à le regarder. Je sais que ton père t'aime. Il y a forcément une bonne explication à son silence. Et puis... Je suis certain qu'il te laissera le temps de réfléchir à ton avenir.

Son sourire me fait chavirer à chaque fois. Et j'espère de tout mon cœur que j'y aurais longtemps le droit de l'apercevoir. Gwen tourne sa tête en direction de l'entrée et après une expiration, je fais de même. Mon père vient d'apparaître. Quelques autres regards se tournent vers lui. Il aime se décrire comme atypique et non différent ou handicapé. Même si physiquement, il l'est. Il fait rouler son fauteuil jusqu'à notre table et je me prends le visage entre mes mains, les coudes sur le bois. Je préférerais disparaître plutôt que de me confronter à lui devant tous ces gens et Gwen assis face à moi.

- Ivan, tu peux me regarder s'il te plaît ?

Gwen me donne un petit coup de pied sous la table, me forçant à lever la tête. Il me regarde tendrement et se lève de sa chaise pour la pousser. Il invite mon père à prendre sa place.

- Tu ne veux pas rester ?

- C'est gentil, mais je dois retrouver mes parents. Et puis, je crois que vous avez des choses à vous dire.

Il dit cela tout en appuyant son regard vert d'eau sur moi. J'ai le droit à un rapide baiser sur le coin des lèvres avant qu'il ne quitte l'établissement.
Nous ne disons pourtant rien quand il part, chacun attiré par quelque chose d'autre.

- Ce garçon... commence-t-il au bout d'un moment. C'est lui, Gwen ?

- Gwenhaël. Et oui, c'est lui.

- J'aurais dû le remercier pour avoir veillé sur toi.

-Tu pourras lui dire la prochaine fois, car je compte le revoir, le préviens-je.

- Je suis heureux si tu l'es avec lui.

Un serveur nous interrompt pour prendre la commande de mon père, qui choisit un diabolo menthe. Il a au moins conscience de la chaleur.

- Donc comme ça... Tu es amoureux de lui ?

- Peut-être. Je ne sais pas... Je crois ?

- C'est compliqué, je présume.

- Est-ce que tu es capable de m'expliquer ce qu'est l'amour, Papa ?

Mon géniteur remercie le serveur et commence à boire, avant de jouer avec la montre à son poignet.

- Aimer quelqu'un, s'inquiéter pour lui. Vouloir garder une personne en sécurité avec soi et veiller à ne pas lui faire de mal. Tout en veillant à son bonheur, si un jour cette personne se retrouve loin.

Il ne parle pas de Gwen. Mais de moi et lui.

- Est-ce que je t'ai fait du mal, Ivan ?

- Oui... Tu n'as jamais répondu au téléphone et ça m'a blessé. Est-ce que moi, je t'ai fait du mal ?

- Pendant des jours, j'ai imaginé que tu ne rentrerais pas à la maison. Que le fait de me voir différent des autres t'ait poussé à partir loin de moi. Je ne pouvais pas imaginer mon petit garçon me détester pour ce que je lui avais fait.

J'attrape sa main et la serre fort.

- Tu n'as rien fait de mal...

- Tu as dû grandir avec une mère distante et avec un père en fauteuil par un choix prit il y a dix-sept ans, soupire-t-il.

- C'était un accident, Papa... Tu n'aurais rien pu faire en moto contre ce chauffeur ivre... C'est pour ça que tu ne m'as jamais appelé ?

- Tu as bientôt vingt ans. Je n'ai aucun droit de te forcer à me parler si tu n'en as pas envie.

- Mais moi, j'aurais voulu entendre ta voix. Juste pour que tu me dises que je te manquais.

- Et tu me manquais, me répond-t-il. Je me rends compte que j'aurais dû être plus synchronisé avec toi. Je recevais toujours tes messages tard le soir.

- Alors la prochaine fois, on s'appellera plus souvent.

- La prochaine fois ? Tu comptes repartir ?

- Avec Gwen. Pour la fin des vacances. Ça ne te gêne pas ?

Il finit le fond de son verre et hausse des épaules.

- Tant que tu oublies les champignons, que tu ne te cognes pas la tête sur un capot et que tu te protèges avec lui, même sous une tente et que tu continues de m'appeler pour que je te réponde cette fois, je ne vois pas pourquoi je refuserais que tu partes.

- C'est vrai ?

Il attrape mes deux mains dans les siennes.

- Je suis on ne peut plus sincère, Ivan. Pendant un temps, je me suis projeté à travers toi pour continuer à vivre, mais je me rends compte que j'étais en train d'étouffer ta vie. Alors je veux que tu saches que désormais, peu importe le choix de vie que tu décideras de prendre, je t'aimerai et te soutiendrai toujours.

Je me lève, fais le tour de la table et me penche pour le prendre dans mes bras. Il m'entoure rapidement des siens.

-Je t'aime Papa.

Les gamins paumés (OS)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant