Cette soirée là, je ne me sentais pas très bien, j'avais les larmes aux yeux, les pieds qui chauffaient et j'avais envie de partir à tout jamais. C'était peut-être un miracle qu'ils se soient tous mis autour de moi ainsi. Faisons un retour dans le passé pour vous faire comprendre où je veux en venir. Revenons environ 10 ans en arrière...La vie est belle quand on est jeune; «garde ton coeur d'enfant», ils disent. Je ne crois pas à ces conneries. Moi, mon enfance, j'aurais voulu la sauter, carrément passer par-dessus. Tous ces idiots, ils m'ont tous gâché ma putain de vie. J'aurais peut-être pu être un adulte normal, un adulte à qui on sourit quand on le voit dans la rue, un adulte qu'on regarde avec admiration. Si j'étais né dans une famille meilleure, probablement que je serais heureux maintenant. Assurément que toutes ses marques ne seraient pas gravé dans moi et encore moins sur moi. Fuck ma jeunesse dégueulasse.
Du plus loin que je me rappelle, Yan le faisait devant moi quand j'avais environ 8 ans. Il croyait sûrement que j'étais assez vieu, ou, comme il le disait si bien, que j'avais «assez de couilles». Il croyait que je pouvais voir toute cette violence. Ma mère, elle, était persuadée qu'il devait arrêter. Elle lui disait de ne pas me faire ça, qu'il ne devait pas le faire devant les yeux de son propre fils. Ça ne lui dérangeait aucunement. Une bière de plus dans la main droite, il la giflait de l'autre. Saoul comme une botte, il lui criait dessus encore plus fort. Elle se taisait comme elle le faisait si bien. Les coups étaient plus forts de fois en fois. Quand Yan ne ramenait pas de sachets de coke, il ramenait des pitounes. Toujours plus connes les unes que les autres. Il disait qu'il les essayait toutes; comme si ces femmes étaient des articles Walmart; une brune, une blonde, une rousse, une noire, une grosse, une mince, une anorexique, une bigorexique, une sourde, une muette, une aveugle... Un porc. Je ne réalisais rien à cet âge là; «jeune et innocent», comme on dit!
Moi, tout heureux de quitter l'abatoire, je me rendais à l'école chaque jour. Mes moments préférés étaient la route: quand je marchais pour aller et revenir de mes cours. Ces instants étaient les seuls bouts de ma journée qui me permettais d'évader mon monde de merde. Au début je croyais que l'école pouvait me sauver, mais j'ai vite compris que ce n'était pas si facile que ça de se faire des amis. J'en avait quelques-uns qui, en réalité, me prenaient tous pour un «bouche-trou» lors de mon primaire, mais en arrivant au secondaire ce fût différent. Les rumeurs circulaient tellement vite. J'étais le fils du salopard du coin de la rue La Pépinière. On croyait que j'étais la même sorte de pourriture. On venait me chuchoter dans l'oreille des conneries du genre «J't'amène ta seringue ti cul, y me reste une couple de bières dans le coffre mon saoulon, Philippe y fâ des pipes pour les fin de mois j'imagine hein ti cul.» Comme ma mère, je la fermais. On était juste bons pour ça nous autre, les Gauthier...Fermer notre yeule.
En gros, ma routine de semaine ressemblait à ça quand j'ai atteint le secondaire; Me lever, espérant ne pas réveiller Yan et sa guidoune, lire la note que maman m'avait laissé sur le comptoire avant de partir à sa première job de la journée, marcher seul et profiter, arriver à l'école et me faire jeter des insultes de mardes toujours identiques, revenir à la maison en versant quelques larmes, rentrer sans me faire voir par mon père pour ne pas me faire dire que je suis un fif, parce que, comme il le disait si bien «un gars ça pleure pas, un gars ça encaisse, un gars ça frappe, un gars ça se bat...ça pleure pas un gars» et aller m'enfermer dans ma chambre, m'endormant rapidement, espérant ne pas me faire frapper cette journée là.
Pendant mes cinq années de secondaire, j'ai vécu la même horaire, la même angoisse, la même crainte, la même souffrance. Chaque jour j'attendais d'entendre ma mère s'endormir paisiblement pour me coucher. Je voulais être certain que ce moment n'arrive jamais. Je voulais m'assurer qu'elle ne recevrait pas un si gros coup cette fois-là.
Quand j'entendais la porte claquer, j'attendais de savoir s'il était accompagné. Si c'était le cas, nous étions en sécurité. C'est étrange à quel point de simple talons de femme pouvait me protéger. Au moment où je n'entendais pas les claquements au sol, je me cachais sous mes couvertures, tel un enfant évitant les monstres sous son lit. Quand aucune femme ne l'avais suivi à la maison, il câlait sa douzaine de bière et se rentrait une seringue ou deux dans le bras. Après ça, il se fâchait: des fois il entrait dans ma chambre pour se défouler, mais c'était plus souvent sur maman qu'il allait. Lorsqu'il allait avec elle, il avait deux options: soit il la frappait à coups de poings, soit il la forçait à retirer ses vêtements pour qu'ils baisent comme des fous. Je ne sais pas si je préférais entendre la tête de lit frapper avec les pleurs de douleur de ma mère ou les bruits de poings dans le visage de celle-ci. Dans les deux cas, c'était pénible.
24 décembre 2013. J'avais à peine 17 ans. À tout jamais je me souviendrai de cette journée et pas seulement parce que c'était la veille de la fête du petit Jésus. En parlant de lui, si Yan y avait cru, peut-être je ne me serais pas autant rappelé de cette date. Bref, cette fois-là j'étais sorti dehors prendre l'air. Mon père n'était pas là et maman faisait, en cachette, un délicieux petit repas qui m'aurait permis d'être heureux, une fois dans ma vie. À mon retour, j'ai vu ma vie défiler devant mes yeux. On croit que c'est ce qui nous arrive quand on meurt, mais moi ça m'est arrivé quand j'ai vu ma mère allongée au sol plongeant dans une mare de sang et mon père, étendu tout près, les deux yeux rouges grands ouverts avec de la mousse blanche dégoulinant de sa bouche puant l'alcool. C'est ce Noël là que je suis devenu orphelin. Je me suis jeté sur maman et j'ai pleuré. Je me foutait de ce que l'autre con, qui faisait une overdose à côté, disait. De tout façon il ne parlait pu celui-là. Ça ne m'importait tellement pas. Ce salop venait de battre ma mère à mort. Il n'avait eu aucune pitié pour elle. Chaque fois qu'elle trouvait le courage de se préparer à partir et de s'enfuir de lui, il arrivait à la convaincre que c'était la dernière fois. Pauvre maman. Jamais elle n'aura eu sa vie désirée, jamais elle n'aura eu une vie tout simplement.
C'est à cause de cette journée en particulier que ma vie est devenue une vie à chier...
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Talons Hauts
Short StoryUne simple histoire purement québécoise qui choque. Pas besoin de prendre 154 détours, il faut aller droit au but. Plusieurs thèmes tabous sont abordés et il ne faut pas passer à côté. Dans ce très court récit, on comprend comment une vie peut facil...