Rue Mouffetard, Paris
Mercredi 7 mars 2012
19h15Lily ouvrit les yeux en grand. Lorsqu'elle comprit qu'elle se trouvait bien dans sa chambre, allongée sur son lit, elle émit un soupir de soulagement. La poursuite de la créature volante jusqu'à la lisière de la forêt, le village calciné, l'orpheline, la traque par les cinq prédateurs et la nuit de souffrance : rien de tout cela ne s'était passé.
Elle s'extirpa de son lit et prit une douche rapide, surprise par sa vitalité inhabituelle. Lorsqu'elle retourna dans sa chambre afin d'ouvrir les volets, elle constata que la nuit enveloppait Paris. Combien de temps avait-elle dormi ?
Elle dévala les escaliers et déambula vers le salon, tandis que sa mère bouquinait sur le canapé, des mouchoirs usagés éparpillés autour d'elle.
Isabelle se retourna et la toisa avec des yeux exorbités.
— Comment vas-tu ?
— Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Pourquoi cette question ?
— Cela fait presque vingt-quatre heures que tu dors ! J'étais morte d'inquiétude ! Je ne me suis pas rendue au travail aujourd'hui pour veiller sur toi. Tu étais très agitée.
Isabelle se leva d'un bond, fonça vers sa fille et l'examina d'un air soucieux.
— Tu es si blanche, et si... froide. Un glaçon. Comment est-ce possible ? Tu étais brûlante toute la nuit.
Comment pouvait-elle rester au lit si longtemps, fiévreuse ? Elle se sentait si bien maintenant. Elle se rappela les paroles de l'orpheline. Avait-elle halluciné, ou son terrible cauchemar s'était-il produit ? Elle fit volte-face et se rua dans sa chambre.
— C'est insensé, marmonna-t-elle, claquant la porte derrière elle.
La confusion l'avait si submergée qu'elle ne remarqua pas l'écroulement des étagères causé par l'onde de choc. Un silence oppressant envahit la pièce. Elle ne parvenait pas à expliquer l'effet qu'il lui procurait. Pourquoi l'intriguait-il autant ? Elle se laissa tomber sur le lit et une latte craqua. Elle ignora ce détail, car bien d'autres la taraudaient davantage.
Lily était effrayée à l'idée de s'endormir. Depuis son accident, elle quittait la réalité pour se rendre dans cette forêt qui n'était que le fruit de son imagination — c'était la seule explication possible —, et des mésaventures l'assaillaient.
Elle approcha son bras de son visage et l'analysa. Ses mains se révélaient grisâtres. Elle crut un instant que ses yeux lui jouaient des tours. Elle retira son attelle, elle n'en avait plus besoin.
Lily jaillit de son lit et se posta devant un miroir. Elle aperçut une trace des dents que l'orpheline lui avait plantées dans la clavicule. Sa peau se révélait si diaphane qu'elle devinait son réseau vasculaire à travers.
— J'ai contracté un virus à la suite de mon séjour à l'hôpital. Une maladie nosocomiale. La fièvre a provoqué en moi cet horrible cauchemar.
Elle tentait de trouver une explication rationnelle à ces phénomènes. Elle ressentait encore la douleur causée par sa fulgurante réaction inflammatoire en haut de cet arbre.
Ce fut seulement à cet instant qu'elle prit conscience de l'état de son étagère. Elle ramassa les planches avec des gestes machinaux, ainsi que les bibelots éparpillés sur le sol, et les mit de côté, l'esprit ailleurs. Elle retourna sur son lit et fixa le plafond.
— Ce silence, murmura-t-elle. Ce silence.
Rue Mouffetard, Paris
Jeudi 8 mars 2012
7h47Au matin, alors qu'elle n'avait pas fermé l'oeil de la nuit, Lily se rappela qu'elle devait passer un examen de quatre heures à l'université. Malgré son insomnie, elle se sentait en parfaite santé. Ses mouvements avaient gagné de l'ampleur et de la souplesse ; sa respiration de la régularité. Ce mystérieux virus lui avait-il apporté des bénéfices sur sa santé ?
Elle s'empressa vers la salle de bain et se frotta les dents avec une énergie remarquable, si bien que sa brosse se cassa en deux. Elle se rinça la bouche en vitesse et jeta les deux morceaux en plastique dans la poubelle sans s'attarder sur cet étrange phénomène.
Lily s'habilla et caressa son Anneau par automatisme. Elle s'assurait simplement de sa présence. N'ayant pas l'habitude de manger le matin, elle rassembla ses affaires et sortit de chez elle en direction de l'université, le ventre vide.
Plus tard, elle se dépêcha d'entrer dans l'amphithéâtre pour subir quatre heures d'examen. Elle sentit des regards insistants la scruter pendant qu'elle s'asseyait à sa place habituelle. Le professeur s'empressa de distribuer les sujets et leur annonça qu'ils pouvaient commencer.
Puis, le silence.
Lily crut entendre un bruit profond et régulier. Distraite, elle tendit l'oreille, et regarda autour d'elle. Tout le monde était penché sur sa copie, imperturbable. Elle le reconnut soudain : c'était le son qu'un cœur produisait lorsqu'il battait. Le plus étonnant était qu'elle parvenait à attendre celui de son voisin, mais pas le sien.
L'épreuve terminée, Lily s'empressa de ranger ses affaires, de rendre sa copie et se précipita au réfectoire. Elle était affamée, n'ayant rien avalé depuis plus de vingt-quatre heures.
D'habitude, elle s'installait à côté d'une fenêtre. Mais aujourd'hui, elle opta pour une place reculée, dans l'ombre. Lily enfouit le contenu de sa fourchette dans sa bouche et mastiqua sans attendre. Ces pâtes n'avaient aucune saveur. Elle eut la désagréable sensation de mâcher du papier. Elle déglutit en plissant les yeux et s'attaqua à la suite du repas.
Une douleur agrippa aussitôt son estomac. Elle saisit le rebord de la table. D'un bond, elle se leva et fonça aux toilettes. Elle se rua dans une cabine, pencha la tête au-dessus de la cuvette et vomit ses deux misérables bouchées. Aucune bile n'accompagna son rejet, ce qui amplifia la douleur. Sa cage thoracique se déforma au rythme des spasmes violents, et sa gorge brûlait.
Lily attrapa sa tête entre les mains. Des cauchemars la hantaient, une maladie inconnue bouleversait son corps et elle ne parvenait plus à s'alimenter alors que la faim la tiraillait.
Elle avait besoin de s'isoler des autres étudiants, des regards insistants, du vacarme et de la lumière qui l'éblouissait particulièrement. La bibliothèque s'avérait être l'endroit parfait pour se réfugier et s'éclaircir les idées. Lily s'y rendit d'un pas chancelant, s'installa à une table, ouvrit un livre qu'elle ne lisait pas et tentait de faire le vide dans sa tête.
Elle était seule, et avec elle le silence.
Quelques minutes plus tard, un étudiant brisa ce calme obsédant et s'installa en face d'elle. Lorsqu'il s'arrêta de faire du bruit après s'être installé, Lily perçut ses battements de coeur. Dès lors, une révélation la secoua de plein fouet.
Son propre cœur demeurait silencieux depuis son réveil. Aucun battement ne propulsait son sang dans ses artères.
— Je suis morte.
L'étudiant releva la tête et la dévisageait. Lily planta ses yeux dans les siens. Elle tâta sa gorge avec la pulpe de ses doigts de manière à sentir son pouls. La froideur et la dureté de sa peau demeuraient surnaturelles. Aucun signe de vie n'excitait son organisme.
— Mon cœur ne bat plus.
Le jeune homme haussa un sourcil, agita la tête et reporta son attention sur son écran d'ordinateur portable, avant de lâcher un grand soupir.
Ses propres mots parurent comme un électrochoc. Lily bondit et s'échappa de la bibliothèque.Plus tard, elle rentra chez elle et se laissa glisser contre la porte d'entrée après l'avoir refermée. Elle passa la main sur ses joues humides et constata, horrifiée, le rouge de ses larmes.
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Trésors du Temps - 1 - Aurore
FantasyLily Aurora, une Parisienne de 20 ans, possède un Anneau qu'elle a hérité de son père décédé. Elle ignore le pouvoir qu'il confère jusqu'au crépuscule qui bouleverse sa vie. Une voiture la percute et le choc la propulse dans un monde peuplé d'Elfes...