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Matthew disait que certaines personnes ne peuvent pas voir ce que d'autres voient. Que certaines étaient spéciales, qu'elles avaient un pouvoir incongru. Un pouvoir qui leur permettait de s'évader de leur propre corps. De s'évader de ce monde de merde. Il disait qu'il fallait juste s'en rendre compte. Qu'on avait tout à notre portée mais qu'on ne s'en servait pas. Parce que les gens sont trop dans leur monde virtuel, ils ne s'intéressaient plus au réel, sauf si il y avait quelque chose de gros. Un drame. Une énorme nouvelle. Ils se laissaient porter par ces fake news et ne faisaient plus la différence entre Internet et la vraie vie. Mais un jour, un jour ces personnes se casseraient la gueule et atterriraient dans la réalité. Nous nous étions exemptés. On avait ce pouvoir. On avait connu la dureté de cette vie de chiotte trop tôt donc nous avions put développer ce pouvoir. Ce monde hors du temps. Un endroit où nous serions réunis pour toujours. Quelque part où il n'y aurait que des gens comme nous.

L'imagination.

Deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin hein Peter ? Il croyait en toi Matthew. Il croyait que tu nous sauverais de cette réalité merdique. Il croyait que tu viendrais nous chercher, et qu'on partirait à NeverLand en volant, quitte à mourir de ta main plus tard. Si tout le monde doit mourir, autant que ce soit en s'amusant non ?

Mais c'était un rêve de gosse ça. Enfaite Matthew, on s'est cassé la gueule encore plus fort y a quelques jours. Et c'était violent. Même si on savait que ça allait arriver. On pensait être prêts. On pensait être forts. Et bah on s'est loupé. On s'est bien ramassé.

Tu es partis.

Et je suis seule.

Tu me manques.

Liés comme les doigts de la main tu te rappelle ? Les meilleurs amis du monde, Les Enfants Perdus. On s'était juré de rester ensemble, de ne jamais partir. Même de n'avoir aucune petite amie, aucun petit copain. On resterait que tous les deux. On embarquerait Marvin et Lisa et on se casserait d'ici. On partirait en voyage au bout du monde, on oublierait notre vie et nos mauvaises notes.

Quand est-ce qu'on se reverra vieux ? Comment je vais faire pour rêver toute seule maintenant ? Personne pour m'aider avec Marvin, personne pour récupérer Lisa à la fin de ses cours quand t'étais pas dispo. Personne pour rire de mes blagues minables sur le canapé de la cabane qu'on avait construit à six ans. Personne pour combler le vide. Le Gang Des Solitaires tu te souviens ? Pouf. Envolé.

Bonne chance à toi pour la suite mon pote. Et regarde-moi bien m'éclater au sol comme une merde.

Matthew m'avait donné une technique. Monte la musique à fond dans tes oreilles. Regarde ton putain de plafond. Puis pense à la mer. Pense à ta fenêtre ouverte. Pense au garçon qui ne grandirait jamais. Laisses-toi bercer par son chant, le chant du vent, le chant de tes écouteurs. Pff... N'importe quoi.

Elle marche. Mais il n'y a plus personne pour s'allonger dans mon lit trop petit avec moi pour faire ça et penser aux étoiles que tu voulais visiter.

Tu me manques Matthew. Tu me manques affreusement.

Je ne sais pas comment je vais faire pour gérer tout ça.

Tu n'es qu'une pierre.

Tu n'es plus qu'un souvenir.

Tu n'es plus que dans ma tête.

Matthew était le meilleur et unique ami que j'ai put avoir. Maintenant il va falloir se débrouiller sans.

-  -  - /SKIP/ -  -  -


« Mmh, mmh, mmh ! »

Marvin.

Je me retourne dans mon lit et essai de ramener la couverture sur moi. Peine perdue, le gamin la tient fermement. Il fait froid. Le vent entre par la fenêtre mal fermée. L'air se glisse sous la couette et vient me fouetter les jambes. Chouette façon de se réveiller dis donc.

« Mmmmh...
-J'arrive Marvin, j'arrive ! »

Ouvrant un œil, je considère le petit bout de chou qui tire sur mon rempart contre l'air gelé. Cheveux noirs de jais, yeux sombre et bridés. Mon petit frère de six ans. Son pyjama est presque deux fois trop grand pour lui. Stephen était trop grand, même moi je nageais dedans à cet âge. Il me presse, tire vers lui et s'apprête à criser, je le sens. Je me lève directement et lui sourit, malgré le froid de canard qu'il fait dans cette chambre. Fichue fenêtre que je n'ai pas été fichue de fermer hier soir. Pour un peu, on se croirait en plein hiver. Il tremblote, me regarde et claque des dents. Je l'attire à moi et le serre contre mon corps encore emplit de chaleur corporelle, lui caressant les cheveux. Mes yeux se posent sur mes mèches rousses qui se mélangent au sienne, noires. De la même famille, du même sang. Et pourtant si différent.

C'est toujours pareil quand je vais le chercher quelque part. Les regards, les coups d'œil quand je dit que, oui Marvin est mon petit frère. Mon little bro' quoi. Il faut dire qu'avec mon look d'irlandaise et le sien d'asiatique on ne se ressemble pas vraiment. Allez, ce n'est pas de ma faute si ma mère était rousse aux yeux vert et si la sienne était coréenne. Pareil pour Stephen. Qui aurait crut que ce grand brun tout ébouriffé et maigre soit mon grand frère ? Un père. Trois mères différentes, que nous n'avons guère connues. Au moins, on a un lit chacun dans cette baraque, même si Marvin et Stephen se partagent une chambre. Ce dernier n'était pas trop d'accord au début mais bon, il a apprit à faire avec. La vie n'est pas une roue de la fortune, à faire tourner. Ce n'est qu'un vaste jeu fade et sans couleur. Enfin presque. Il y a toujours quelques pixels plus foncés que d'autres, quelques uns qui brillent d'un éclat plus fort que d'autres. Matthew disait qu'il y avait toujours un espoir, quoi qu'on dise. La preuve, les étoiles brillent toujours, même quand elles sont cachées derrière les nuages. Même durant les guerres.

« Mmh...
- Pardon mon chérie, on va déjeuner okay ? Ça te dit chocapics ? »

Je le sens hocher la tête contre mon épaule et le relâche en souriant. Il sort vite de ma chambre et je peux l'entendre descendre mes escaliers à toute vitesse. Je me lève pour de bon et enfile un vieux sweat gris -merci Stephen- afin de moins cailler. Une paire de chaussettes bleues non trouées, sympa les motifs cœurs, et hop me voilà dans le couloir. Je m'avance doucement pour ne pas réveiller celui qui dort encore, et entrouvre sa porte. Allongé sur son lit, la bouche ouverte, il ne ressemble pas au Stephen éveillé. Une fois debout il ne restera rien de celui qui dort. Je l'imagine déjà, exécrable, dans les vapes et son monde en se croyant intouchable.

Refermant la porte sans faire de bruit, je descent les marches grinçante. Il faut vraiment que je trouve un moyen d'arranger ça, peut-être que Papa, dans un éclair de lucidité saura me dire vers qui le tourner. J'en doutes mais soit, quelqu'un m'attend pour le déjeuner et je ne peux décemment le faire attendre, à moins que je ne veuilles retrouver la cuisine dans un bordel pas possible, ce dont je me passerais bien.

Je passe devant la masse endormit dans le canapé en soupirant, sans grand espoir qu'il arrête. A force d'être déçue, on ne s'attend plus au grand miracle de la vie. Il ne nous reste que notre réalité et de petits rêves. Des choses sans vraiment d'intérêt mais qui restent gravés en nous. Des rêves stupides de gamins stupides. On déchante vite ici, on sait ce qu'il se passe vraiment derrière les « Tu comprendras quand tu seras plus grand ». On est emprisonné dans une routine vide et douloureuse. Les appels à l'aide ne servent à rien. Le déni non plus. Nous sommes les prisonniers de la vie. Ceux qui ont perdus leurs tickets en naissants. Nous sommes bloqués là-dedans et personne ne peut nous en sortir, quoi qu'ils en disent. Les grands discours à la télévision, les potes qui disent que tout va s'arranger.

« Il faut du temps tu sais »

« Je suis désolé. Je peux faire quelque chose ? »

« Oh...Je compatis à ta situation, vraiment. »

Vraiment ? Vous comprenez ? Dans ce cas occupez-vous des problèmes qui devraient vous infecter lentement, vous noyant. Vous devriez suffoquez sous la pression qui vous est mise.

« Mmh, mmh...

- Pardon Marvin, je suis là ! »

Je rentre dans la cuisine et grimace. La vaisselle sale d'hier ne va pas se nettoyer seule, je n'ai pas besoin que Stephen soit là pour me le dire. Il va bien falloir s'y mettre... mais avant, p'tit déj. Ouvrant les placards, je me saisis d'une boîte de céréales, d'un bol, d'une cuillère et de lait. Je le sers et tend à mon frère ce qu'il attend.

« Mange-ça Super Man, j'ai une nouvelle mission à te confier avant d'aller se balader. Au fait, un tour de vélo, ça te dit minimoy ? »

Seize ans, un skate et des cachetsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant