Chapitre 11

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Vendredi 2 août 2013

Profitant d'une heure matinale pour sortir Doudou, la brunette savoure une bouffée d'air frais qui lui permettra de faire face à cette énième journée de grandes chaleurs. En effet, la cité des Tarterêts se trouve sous l'emprise d'un épisode caniculaire assez rude et il est préférable de sortir tôt dans la journée et tard le soir. Comme chaque matin depuis le début de la semaine, elle aperçoit Nabil assis sur un banc en face du terrain de foot. Comme chaque matin depuis le début de la semaine, elle suit Doudou qui fait un grand détour et arrange sa maîtresse qui n'a pas à lui parler. Comme chaque matin depuis le début de la semaine, il l'observe marcher derrière son chien. Comme chaque matin depuis le début de la semaine, il hésite à lui poser une question qui le perturbe. Et ce matin, il trouve le courage d'aller lui poser.

Il profite que Doudou décide d'étrangement passer devant son banc pour se lever et se mettre à marcher à côté de sa maîtresse. En tirant une dernière taffe sur son joint, il regarde la jeune femme à côté de lui qui fixe le chemin devant elle alors qu'elle semble méfiante. Ne voulant pas la brusquer, il préfère attendre un peu avant de commencer à lui parler. Heureusement ou pas pour lui, c'est elle qui casse l'ambiance oppressante en prenant la parole en première :

- Pourquoi fumes-tu ? Pardon, c'est indiscret mais je me demandais comment vous découvrez ou commencez ça en sachant que c'est mauvais pour la santé ? Quoi que, non en fait, laisses tomber c'est bête...

D'abord surpris par le sujet de sa prise de parole, il l'observe brièvement puis cherche ses mots avant de lui répondre :

- Nan t'inquiète c'pas grave. Ici tu vois, les p'tits ils prennent exemple sur les grands et font tout comme eux. Puis un jour entre potes on essaye, pour déconner, même s'ils nous ont interdit et on se rend compte qu'au final on s'met vachement bien donc on réessaye et on se fait prendre au piège, tu vois ? Après on le sait que c'est de la merde mais d'toute façon c'est déjà c'qu'on est alors ça change pas grand-chose. Après dans les quartiers d'ge-bour, ils commencent au collège pour soi-disant se rebeller ou parce que c'est à la mode et qu'c'est des moutons, tu vois ?

- Justement je te posais cette question parce que je ne viens pas de quelque part ou les gens fument. A vrai dire, j'ai découvert l'existence des drogues en arrivant ici.

La jeune femme est ignorante sur tellement de choses du quotidien que Nabil trouve cela assez déroutant. Pour autant il ne peut s'empêcher de la trouver mignonne de poser toutes ces questions et aimerait pouvoir protéger sa pureté du poison que renferme sa cité et dans lequel il se trouve lui-même piégé.

- Mais t'habitais dans une grotte ou quoi ? la taquine-t-il.

- Ha ha c'est hilarant ; ironise Eejil.

- Sinon moi aussi j'ai une question, tu me répondras sérieusement ?

- Je suis toujours sérieuse.

- D'accord, eh bien... depuis quand t'étais au courant que ta pote allait venir ? Tu l'as appris quand ?

- Ma pote ?

- Celle qui est arrivée lundi.

- Elle s'appelle Ellana. Je l'ai su quand je l'ai vu par-dessus mon balcon. Pourquoi cette question ?

- J'vais pas t'mentir mais j'ai vu ce que t'as dessiné avant d'aller à ton balcon ; avoue enfin Nabil.

Eejil se fige. Comment a-t-il pu voir son dessin ? En a-t-il vu d'autres ? Elle ne sait pas quoi lui répondre. Elle se sent prise au piège. Doudou est trop loin pour l'aider. Tant pis, elle doit bien réapprendre à se débrouiller seule. Il s'est arrêté aussi. Il sait que, sous son habituel foulard, elle se torture le cerveau. Il sait qu'à cet instant précis, elle le déteste. Elle sait qu'il attend une réponse. Elle sait qu'il aura d'autres questions après celle-là. Elle tente alors de faire diversion et le fixe droit dans ses yeux :

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